Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Mais pourquoi l’herbe est toujours plus verte ailleurs ?
Julien Vercel
Mais pourquoi les modèles étrangers servent-ils régulièrement de référence dans le débat français ? Dès les années 1920, le régime communiste soviétique a aimanté ceux qui exécraient la République bourgeoise. Dans les années 1930, les régimes fascistes et nationaux-socialistes aimantaient ceux qui exécraient la République parlementaire. Il fallait en finir avec les démocraties pluralistes et libérales accusées, par les uns, de préférer les droits « formels » aux droits « réels » et, par les autres, de manque de « virilité ». Ces régimes ont, aujourd’hui, perdu leur statut de modèle : avec la fin de la deuxième guerre mondiale pour les dictatures fascistes, plus longtemps après, avec les différentes interventions soviétiques, notamment en Hongrie ou en Tchécoslovaquie, puis avec la chute du Mur de Berlin, pour la dictature communiste.
En temps de paix et de convergence des régimes occidentaux, le goût des modèles persiste, mais il est moins radical, à l’image de partis de gouvernement plus centristes. C’est ainsi que la gauche lorgne tantôt vers le modèle scandinave quand elle rêve d’un État-providence doté de systèmes sociaux complets et universels, tantôt vers le modèle allemand quand elle rêve d’un dialogue social qui serait fait de plus de compromis et de moins de conflits. La droite lorgne tantôt vers le modèle anglais quand elle rêve de faire maigrir le code du travail, tantôt vers le modèle américain quand elle rêve d’un pays d’entrepreneurs libérés d’une administration toujours trop « tatillonne ».
Et puis, ni de droite, ni de gauche, il y a ceux qui regardent les pays qui semblent bien marcher et souhaitent les imiter : dans les années 1980, le modèle japonais dominait l’économie avec son « juste à temps » et ses « boites à idées »… mais depuis l’éclatement de la bulle spéculative en 1990, le Japon n’en finit pas de connaître des difficultés (et pas seulement pour cause de tsunami) : cycle de stagnation-récession, politique d’austérité (jusqu’en 2000), turbulences du système bancaire (depuis 1997), déflation (entre 1999 et 2006) et record de la dette publique ! Plus récemment, ne parlons pas du modèle espagnol qui a sombré depuis 2008 avec, notamment, une crise des services publics et des prestations sociales et une hausse importante du chômage !
Ainsi, quand Manuel Valls, premier ministre, affirme que « les modèles ont failli » (L’Obs, 23 octobre 2014), il faut comprendre que « les modèles [étrangers] ont failli ! ». Car il explique, dans le même entretien, que « Nous devons proposer un modèle que j’appelle la prédistribution pour prévenir les inégalités. D’où la nécessité d’investir massivement dans l’éducation, la recherche, la formation et la culture ». Ce modèle est la version sociale-libérale du modèle français. Jean-Marc Ayrault avait quant à lui, entre 2012 et 2014, tenté de proposer la version sociale-démocrate avec le « Nouveau modèle français » qui consistait à « renouveler en profondeur le modèle français pour l’adapter au temps présent et donner une nouvelle réalité à ses valeurs républicaines » (Le Monde, 3 janvier 2013).
Les Français ont ceci de paradoxal : ils sont capables d’arrogance internationale, de croire que leur « exception » peut « éclairer » et « libérer » le monde -parfois même malgré lui- et, dans le même temps, de manquer de confiance en se revendiquant régulièrement de modèles étrangers. C’est ainsi que, d’un côté, François Hollande a remporté l’élection présidentielle parce qu’il a su convaincre les Français que leur pays a un destin, qu’il a un avenir s’il réforme son modèle social. C’est le sens de la phrase « La France n’est pas un problème. La France est la solution ! » (Bourget, 22 janvier 2012). Mais, d’un autre côté, les Français sont toujours tentés de changer de modèle en regardant ailleurs, en préférant la révolution à la réforme, en fabriquant un énième nouveau prototype plutôt qu’en améliorant leur système.