Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
La Grande loge suisse Alpina, principale obédience du pays aux vingt-six cantons est dite « régulière » en tant qu’elle est reconnue par la Grande loge unie d’Angleterre. Mais elle est réputée plus tolérante que ses équivalentes. Outre son aventure risquée ces derniers mois aux côtés de quelques consœurs pour tenter d’enfoncer un coin au moment de l’éclatement de la Grande loge nationale française entre « reconnaissance » et « régularité », il est de notoriété publique que des frères sont parfois admis discrètement dans certaines loges de sa juridiction, alors qu’ailleurs, ils ne seraient pas en odeur de sainteté. Les principes généraux de l’obédience qui reste cependant strictement fermée aux femmes, affirment à la fois la présence du Grand architecte de l'univers dans les travaux maçonniques, et un respect « pour toutes les convictions sincères » réprouvant « toute opposition à la liberté de pensée ».
Alpina possède actuellement 83 loges, pour un total de membres d’environ 4 000 membres, soit les quatre cinquièmes de l’effectif maçonnique national suisse, la population totale du pays étant de 8 millions d’habitants. Cela donne une implantation maçonnique globale cinq à six fois plus réduite qu’en France, par nombre d’habitants. 47 des loges d’Alpina travaillent en français, 28 en allemand, 5 en italien, 3 en anglais. Le recensement ayant donné en 2012 en Suisse près de 65% de germanophones, moins de 23% de francophones, un peu plus de 8% d’italianophones et 0,5% de romanches, on trouve à population égale six fois plus de francophones que de germanophones en loge. Cela corrobore ce qu’est aujourd’hui le désert maçonnique germanique, sans occulter la faiblesse des francophones.
Du côté de la franc-maçonnerie libérale, la situation est à la fois diverse et quasi groupusculaire. Qu’on en juge : le Droit humain helvétique ne compte que sept loges, dont cinq francophones, une germanophone et une italianophone et il ne doit pas dépasser la centaine de membres. Cette branche suisse de l’organisation internationale est aujourd’hui doublée, comme dans bien d’autres pays,par une concurrente nationale, la Grande loge mixte de Suisse, qui doit avoir quelque 150 membres avec huit loges déclarées.
Le Grand orient de Suisse compte pour sa part 18 loges, toutes masculines, dont deux travaillent au rite français ; la Grande loge féminine de Suisse annonce environ 400 membres et 21 loges, (quatorze françaises, cinq allemandes, deux italiennes), toutes au rite écossais.
Il existe également dans la Suisse maçonnique de petits groupes comme la structure mixte Lithos et des ateliers de tradition égyptienne (rite de Memphis-Misraïm), mais qui ne rassemblent que quelques dizaines de membres.
En conclusion, on peut donc noter que la franc-maçonnerie helvétique est, quantitativement parlant, plus faible que la française, toute proportion gardée en termes de population. D’autre part, elle concerne davantage les francophones que les germanophones et les femmes y sont encore plus rares qu’en France. Enfin, le spiritualisme tempéré y règne en maître. Il ne s’agit donc pas, même pour la partie francophone, d’une déclinaison en réduction de la situation française, telle que l’on peut l’observer à quelques nuances près en Belgique, mais d’une sorte d’intermédiaire entre la France et l’Autriche dont nous parlerons peut-être un jour, et où Mozart et Haydn ont une bien faible descendance.