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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les sociétés fraternelles anglo-saxonnes, une sécurité sociale, une « maçonnerie du pauvre », un monde scandaleusement oublié (1)

Les sociétés fraternelles anglo-saxonnes, une sécurité sociale, une « maçonnerie du pauvre », un monde scandaleusement oublié (1)

Les Oddfellows

Jean-Pierre Bacot

Les sociétés fraternelles anglo-saxonnes que certains ont jadis appelé « maçonnerie du pauvre », sont aussi importantes quantitativement et qualitativement qu’oubliées dans l’histoire des classes populaires britanniques et nord-américaines (Jean-Pierre Bacot, Les sociétés fraternelles : un essai d'histoire globale, Dervy, 2007). La plus ancienne, la plus massive et la plus ritualisée de toutes porte un nom réputé intraduisible : « les Oddfellows ». Ces compagnons étranges, impairs, dépareillés, nés au début du XIXe siècle dans leur type actuel d’organisation se réfèrent, outre à un ancrage biblique, à une époque antérieure où, après la disparition des guildes, il fallut inventer en Grande-Bretagne quelque chose qui répondît à la fois à une diversification des métiers et à un besoin de couverture sociale. Dès la fin du XVIIIe siècle un essai de structuration d’un Grand United Order intervint, mais il fut contesté et donna lieu en 1810 à la création à Manchester de The Independent Order of Oddfellows Manchester Unity Friendly Society Limited. Cette fraternité populaire, ouvrière, se dota de règles et de coutumes, de grades, de décors, directement inspirées de la franc-maçonnerie à laquelle sa clientèle sociale n’avait pas accès, et ce, sur une base tout aussi chrétienne et masculine. Malgré quelques tentatives de scissions régionales dont certaines se maintinrent, la centralisation de l’ordre s’installa depuis la grande loge installée dans la cité ouvrière. Cette spécificité anglo-saxonne qui connut d’autres déclinaisons, notamment les Foresters que nous envisagerons plus tard, ne pénétra jamais en France, ni dans le monde latin, sinon très marginalement. Elle est très différente du compagnonnage français, dans la mesure où il ne s’est pas agi pour ses promoteurs de dégager une sorte d’élite ouvrière, mais de créer de véritables organisations de masse, des sortes de mutualités ritualisées et de s’inscrire plus tard dans un marché de la santé. D’ailleurs, à la fin du XIXe siècle, les Oddfellows de Manchester comptent plus de 700 000 membres.

En l’absence d’assurances sociales et dans le cadre d’un libéralisme peu enclin au développement de politiques publiques, la fraternité des trois anneaux fut la première à proposer en Grande-Bretagne, dans un cadre de sociabilité d’abord masculine et à dominante protestante, un revenu en cas de malheur pour une classe ouvrière en plein développement.

Les Oddfellows américains créèrent rapidement leur propre structure et en 1819 apparut à Baltimore, autre ville ouvrière d’importance, une fraternité qui conserva dans un premier temps un lien avec Manchester, avant de prendre son indépendance et connaitre un important développement. La première loge canadienne apparut en 1843 à Montréal, dans sa partie anglaise et protestante (condamnation étant faite par le Vatican des sociétés fraternelles jugées, à juste titre, para- maçonniques), avant que d’essaimer en Ontario, puis dans toute la partie anglophone du pays. Il en fut de même dans d’autres contrées du Commonwealth. En 1920, la branche nord- américaine dépasse 1,7 millions d’adhérents.

Les sociétés fraternelles anglo-saxonnes, une sécurité sociale, une « maçonnerie du pauvre », un monde scandaleusement oublié (1)

Il existe chez les Oddfellows américains des Subordinate Lodge Degrees, avec trois grades après l’initiation : « Friendship » (amitié) ; « Brotherly/Sisterly Love » (amour fraternel, sororal) ; « Truth » (vérité). Viennent ensuite les Encampment Degrees : « Patriarch » ; « Golden Rule » (règle d’or) ; « Royal Purple » (pourpre royale), puis un ultime degré, semi-militaire à imaginaire chevaleresque créé pendant la Guerre de sécession, « Chevalier », « Patriarch Militant Degree ». Mais il ne faut pas oublier que cette efflorescence de hauts grades correspondait à un degré supplémentaire d’implication et donc de cotisation, pour des prestations sociales accrues.

En 1851, les femmes firent leur apparition aux Etats-Unis avec l’instauration d’un Ordre de Rebekah dont les loges, étaient greffées sur les loges masculines de l’Independant Order of Odd Fellows (IOOF), ouvertes aux sœurs, épouses et veuves de membres de l’Ordre. Elles obtinrent progressivement une certaine indépendance et perdurent aujourd’hui, bien que les loges de Oddfellows, comme les « Clubs Services », mais à la différence de la franc-maçonnerie américaine, admettent des femmes comme membres à part entière, sous pression, des législations contre la discrimination sexuelle.

Le degré de Rebekah, structure mixte à dominante féminine s’est construit autour de quatre symboles et valeurs : la ruche, représentation de l’industrie coopérative ; la lune et les sept étoiles, marquant régularité et précision dans l’univers de Dieu ; la colombe symbole de paix ; le lilas, symbole de pureté. On est assez prêt, avec un tel dispositif symbolique sphériquement créé par des hommes pour des femmes, de ce qui allait se développer parallèlement dès 1850 à Boston en marge de la franc-maçonnerie avec l’Eastern star, ordre paramaçonnique dont nous parlerons un jour prochain.

Les sociétés fraternelles anglo-saxonnes, une sécurité sociale, une « maçonnerie du pauvre », un monde scandaleusement oublié (1)
Les sociétés fraternelles anglo-saxonnes, une sécurité sociale, une « maçonnerie du pauvre », un monde scandaleusement oublié (1)

à suivre...

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