Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Les Foresters
Jean-Pierre Bacot
Les Foresters constituent, avec les Odd Fellows nés en 1810, l’autre principale branche de ce continent oublié, certes en déclin, mais toujours vivant, celui les sociétés fraternelles anglo-saxonnes (Jean-Pierre Bacot, Les sociétés fraternelles : un essai d'histoire globale, Dervy, 2007). Inspirés de la franc-maçonnerie, mais d’un recrutement plus populaire et dotés d’une vocation sociale horizontale, actifs notamment dans le champ de l’assurance maladie et décès, les Foresters ont connu en Angleterre un développement spectaculaire au XIXe siècle, l’installation de leurs courts (leurs loges) s’effectuant notamment au long des chantiers de construction des voies de chemin de fer. Notablement oubliées des histoires de l’Angleterre et des études, pourtant nombreuses, sur la classe ouvrière britannique, sans doute pour ce caractère paramaçonnique honni des marxistes, ces sociétés fraternelles ont pourtant compté plusieurs centaines de milliers de membres, ont fonctionné et œuvrent encore pour leurs adhérents comme une véritable sécurité sociale en pleine montée d’un libéralisme aujourd’hui installé, profitant de la liberté d’association élargie en en Grande-Bretagne 1830 avec d’autres libertés, notamment de croyance. On doit à Audrey Fisk un certain nombre de publications sur le sujet dont : Mutual Self-help in Southern England 1850-1912, Foresters Heritage Trust, 2006.
The Ancient Order Of Foresters a été fondé en 1834, à Rochdale, près de la ville industrielle de Manchester, puis s’est installé à Leeds. Son histoire mythique remonte, dans les siècles précédents, à des fraternités de bucherons, dans un imaginaire que l’on a retrouvé aux marges de la franc-maçonnerie avec la « maçonnerie du bois ». Quelques 3000 « branches » d’une société fondée au XVIIIe siècle se seraient agrégées lors de la création de l’Ordre. Parfois appelées, non sans condescendance, the poor masonry. Les sociétés fraternelles avaient des loges (courts pour les Foresters), des cérémonies de réception, des grades, des décors dont les Foresters britanniques conservent la trace dans leur Foresters heritage. A la différence des Odd Fellows, ils étaient cependant peu expansifs dans ce registre, un peu low church et démocrates. Ils s’ouvrirent assez rapidement aux femmes, sans développer de structure séparée. Cette partie de la « maçonnerie du pauvre » s’avéra plus progressiste que celle de la gentry, regroupée à la Grande Loge Unie d’Angleterre où se prodiguait une charité descendante. Dès 1850, les Foresters bénéficièrent d’un statut légal dans le cadre du New Friendly Societies Act. En 1912, ils prirent un statut officiel d’assurance qui fit doubler leur effectif et à la fin de la Première guerre mondiale, ils créèrent un fond pour venir en aide aux anciens combattants blessés et à leurs familles. Leur activité se perpétue aujourd’hui, intégrée à l’offre hospitalière et assurancielle avec une option mutualiste.
L’implication des Foresters dans le système d’assurance d’une classe ouvrière en pleine expansion dans les années 1830 et suivantes était l’objet d’une ritualisation, même si, répétons-le, elle fut moins démonstrative que celle des Oddfellows. Un deuxième degré fut créé, dont les membres étaient regroupés dans The Ancient Order of Shepherds. Cette structure fonctionna comme une sorte d’assurance mutualiste complémentaire de 1834 à 1889. La cotisation était plus chère, mais la couverture sociale accrue, comme les Oddfellows avec leurs Encampments.
On soulignera également le caractère démocratique des Foresters et par là même progressiste par rapport notamment à la franc-maçonnerie locale, option voulue par l’organisation dès son origine, comme en témoigne cet extrait de la présentation historique proposée sur le site historique : « The fundamental concept underpinning the Ancient Order of Foresters in August 1834 was democracy. This was manifested in both participatory and representative democracy. The single most significant feature of representative democracy was seen in the annual High Court Meeting (HCM). Every Court in the Order was entitled to send a delegate to this meeting, to represent the agreed view of members within a Court. The importance of the representative body was that this was where what might be termed policy decisions were made. It was the view of the High Court which determined the course to be taken, NOT the opinions of the members of the Executive Council. Initially this was merely the administrative body, implementing HCM delegate’s wishes, conducting relatively routine business ».
L’Ordre des Forestiers connut une déclinaison américaine avec The Independent Order of Foresters, installé en 1874 aux États-Unis et, l’année suivante, un équivalent canadien. Puis intervint une création à fort parfum irlandais, The Catholic Order of Foresters, en 1879, à Boston, destinée à permettre aux catholiques de ne pas frayer avec des protestants. De plus, alors que la branche originelle anglaise s’était montrée très féministe pour son époque, les Américains créèrent à Chicago en 1892 une version féminine de la branche forestière catholique. Dans le cadre concurrentiel qui semble aujourd’hui dominant, les Foresters américains viennent de s’implanter en Angleterre.