Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
La nature a horreur du vide
Le 28 mai prochain, un colloque va se tenir rue Cadet sur le thème « La Franc-maçonnerie face à ses mythes » avec, notamment, des membres du Grand orient de France (GODF) et de la Grande loge nationale française (GLNF). Ce sera le premier épisode de ce qui porte d’ores et déjà le nom de « Rencontres La Fayette ». Rappelons quelques éléments centraux du paysage maçonnique et de l’histoire récente pour saisir l’importance de ce qui constitue probablement le début d’un basculement des équilibres.
En un mot comme en cent, comme le notait il y a peu François Koch sur son blog « La Lumière », cela pourrait apparaître comme le « mariage de la carpe et du lapin ». D’un côté le GODF, la plus ancienne obédience française, s’affichant libérale, c'est-à-dire adogmatique, aujourd’hui ouverte aux femmes, tête de pont d’un ensemble comportant plusieurs obédiences masculines, mixtes et féminines ; de l’autre, la GLNF, filiale française de la maçonnerie anglo-saxonne. Le Grand orient continue une croissance lente, mais constante, et compte environ 51.000 membres dont 2 000 femmes ; la Grande loge nationale a connu une crise de gouvernance qui a commencé en 2009 et qui lui a valu une vague massive de départs, notamment pour la Grande loge de l’Alliance maçonnique française (GL-AMF), créée pour l’occasion et l’a fait passer de près 50 000 membres à quelque 26 000 aujourd’hui.
Autre élément d’importance. Au plus fort de la crise de la GLNF, celle-ci présentait au sein de la franc-maçonnerie et d’une partie du public une image déplorable, notamment à cause d’une suite de procès et de déclarations fracassantes, agitant au passage la blogosphère. Elle perdit de ce fait la reconnaissance de la Grande loge unie d’Angleterre avec, par là-même, sa sacro-sainte régularité. La Grande loge de France (GLDF), dont certains dirigeants rêvaient depuis longtemps de recevoir pareille onction, gage de respectabilité au sein de larges relations internationales, mit en place avec la GL-AMF une structure de coordination, dite Confédération maçonnique de France pour tenter de capter cette régularité. À ce groupement furent associées la Grande loge initiatique de France (GLIF), petite structure issue elle aussi de la GLNF, la Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra (GLTSO) et la Loge nationale française. Ces deux dernières obédiences se désolidarisèrent très vite du processus, et la CMF en fut réduite à trois unités (GLDF, GL-AMF et GLIF) avec environ 40 000 membres.
Dans un premier temps, cette entreprise sembla être couronnée de succès, puisque cinq grandes loges européennes proposèrent que ses composantes soient reconnues comme régulières, avec Dieu et sans les femmes, en lieu et place de la GLNF. Mais depuis deux ans, la GLNF amaigrie s’est amendée et a réussi à montrer patte blanche aux maçons anglais, leur prouvant qu’elle était devenue irréprochable quant à ses critères de fonctionnement, tant et si bien que les reconnaissances internationales sont petit à petit revenues et qu’elles s’additionnent désormais, jusqu’à celle des Britanniques, nous ramenant à la situation d’avant la crise. Les cérémonies du « centenaire » de la GLNF, en réalité celui de la loge qui la préfigura, en décembre 2013, puis la réunion internationale des grandes loges « régulières » à Bucarest en octobre dernier ont fini de reconsolider ces alliances internationales. Du coup, la CMF, que les cinq grandes loges qui l’avaient soutenue ont laissée en rase campagne, se retrouve isolée et la Grande loge de France qui a connu sur cette affaire une forte agitation interne, aux limites de l’explosion, revient, elle, se placer en deçà de la case départ. Ce brusque recul a une double cause. La méfiance s’est installée envers les obédiences libérales en gage de rupture dans l’espoir d’obtenir une régularité, ce qui a été très modérément apprécié. D’autre part, pour une histoire de brouille avec l’Institut maçonnique de France et son président Roger Dachez, à propos du révisionnisme de certains historiens de la Grande loge de France en délicatesse avec leur propre passé, cette dernière a perdu l’organisation du salon annuel du livre maçonnique qu’elle gérait depuis des années, ne parvenant qu’à organiser une maigre réplique de ce qui constitue un pôle important de rencontre dont elle est désormais absente, alors que la GLNF y assure une présence croissante.
À suivre