Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
La tenaille, outil de vengeance
Jean-Pierre Bacot
La conséquence inattendue, mais somme toute logique en termes de géopolitique de cette situation passablement cocasse, tient dans le rapprochement entre le GODF et la GLNF qui, s’il se confirmait, prendrait la CMF en tenaille. Déjà, en 2008, une première rencontre entre grands chapitres de rite français des deux obédiences avait eu lieu. C’est probablement sous l’égide de ce rite, le plus ancien, malgré les pratiques différentes d’un côté et de l’autre (XVIIIe siècle ne varietur pour les traditionalistes, modernisé pour les libéraux) que le dialogue va s’établir en priorité s’il devait y avoir travail commun, notamment d’historiens, et ce d’autant plus que les départs de la GLNF ont surtout été le fait de membres du Rite écossais ancien et accepté (REAA) et que, du coup, si la CMF est très « écossaise » la GLNF l’est moins qu’avant sa crise , le Rite écossais rectifié (RER) et le Rite français (RF) s’étant renforcés.
Qui sait si l’une des prochaines étapes ne sera pas une ouverture de la GLNF aux femmes, sous une forme ou sous une autre. En attendant, il n’est pas inutile de rappeler que la franc-maçonnerie anglo-saxonne dont elle se réclame s’écroule dans ses terres d’origine (Grande-Bretagne, États-Unis, Canada) et que du côté de la GLNF, outre que l’on a été probablement échaudé par la fidélité toute relative de certaines obédiences européennes, le principe de réalité va peut-être jouer en faveur d’une reconnaissance de fait, sinon de droit, de la maçonnerie telle qu’elle est et telle qu’elle s’annonce dans les prochaines décennies, où le nombre de maçonnes et maçons français dépassera celui de îles britanniques. De plus, qui dit tradition ne peut passer à côté de la notion d’ancienneté et,à ce registre, les traditionalistes sont bien plus récents que les modernes. Autre lecture possible, entre incroyants et croyants qui savent où ils habitent, on peut toujours discuter, davantage qu’avec le monde de la métacroyance spiritualiste, d’autant que le paysage de la croyance se modifie.
Dernier point, puisque de géopolitique nous parlons, il nous faut imaginer la carte que nous tracerons peut-être un jour de l’implantation de grandes loges « régulières », certes de faible effectif, dans les pays d’Europe centrale et orientale et dans certains pays d’Afrique et d’Asie. Le déclin de l’Angleterre pourrait donner à la GLNF un rôle diplomatique accru. Pendant que l’on parlera spiritualité et développement de soi dans ce qui restera de CMF, à la direction de la GLNF on voyagera, comme on l’a toujours fait. Quant à la politique internationale du GODF, elle est, de fait, plus modeste et semble essentiellement basée sur la promotion de la laïcité, notamment en terres orthodoxes. Quoi qu’il en soit, nous avons bien affaire à deux puissances, lesquelles, après des décennies de superbe ignorance, ont décidé de dialoguer.