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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

In memoriam Abdelwahab Meddeb

In memoriam Abdelwahab Meddeb

Cet hommage à la mémoire d'Abdelwahab Meddeb semblera un peu tardif, car il était bel et bien prévu pour paraître tardivement dans la rubrique nécrologique du n°6 des Cahiers de l'Ailleurs, de mars 2015. Hélas, alors que je croyais le bouclage en cours, j'ai appris –par le blog de Dominique Dubois, son rédacteur en chef– la fin brutale de la revue... Voici donc ce petit texte grâce à l'extrême gentillesse de Jean-Pierre Bacot, en attendant des articles pour Critica Masonica, dont certains étaient prévus pour les Cahiers... Je me rends compte maintenant, après les attentats de janvier, que j'étais déjà quelques mois auparavant, à ma manière, « Charlie » et aussi un peu « Yézidi ».

Adon Qatan

Abdelwahab Meddeb, nous a surpris une dernière fois, lorsque nous avons appris l'incroyable nouvelle de son décès le jeudi 6 novembre 2014, à 68 ans. Il fut l'un de nos grands universitaires (enseignant la littérature comparée à Paris-X Nanterre) et poètes franco-tunisiens, et un authentique philosophe des religions qui sut faire rimer la critique acerbe de l'Islam avec la recherche mystique. Il animait aussi, depuis 1997, l'émission Cultures d'Islam sur France-Culture, fut le directeur de la revue internationale Dédale et l'auteur de nombreux livres (dont des romans) et articles.

Parmi ses traductions, j'en retiens une particulièrement, celle des Dits de Bistami (Fayard, 1989), un recueil précieux des paroles du saint soufi médiéval Abû Yazid Bistami, dont l'enseignement paradoxal était exclusivement oral, et qui est encore à notre époque révéré par les Yézidis avec El-Hallâj ou Shams de Tabriz, le maître du célèbre Rûmi.

En fait, il est évident qu'Abdelwahab Meddeb aurait pu donner quelques leçons de Soufisme et de Modernité à quelqu'un comme René Guénon (mort en 1951), ce grand chantre des « orthodoxies traditionnelles » contre les « hétérodoxies » et le « modernisme », qui termina sa vie en Egypte comme soufi sunnite, et qui inspire encore tant d'individus pour le meilleur et pour le pire.

Contrairement à Guénon, il était né musulman sunnite et percevait avec une acuité sans pareille tous les défauts internes de sa tradition d'origine, ce qu'il a nommé « la maladie de l'Islam », c'est le titre de son essai paru en 2002. C'est d'ailleurs dans son Sortir de la malédiction. L'Islam entre civilisation et barbarie (Le Seuil, 2008) qu'il proposait des remèdes à cette « maladie ».

Il appartenait à ce que je dénommerais, d'une manière un peu pompeuse (mais je n'ai pas trouvé mieux, pour l'instant !), « la réforme islamique française », une école de pensée mystique et de philosophie religieuse où l'on peut retrouver Abdenour Bidar, Malek Chebel, l'écrivain Tahar ben Jelloun, le slameur-rapeur soufi Abd al Malik et bien d'autres que j'oublie, appelant à un « Islam des Lumières » (l'expression est de Malek Chebel) qui relie l'humanisme des anciens soufis et philosophes musulmans à l'humanisme occidental et moderne, celui, proprement français et européen du Siècle des Lumières jusqu'à maintenant. Reliant donc la mystique musulmane à la philosophie moderne et aux problématiques de notre époque. C'est d'ailleurs la signification plénière de l'expression « Islam des Lumières », c'est à dire des deux Lumières, des deux raisons, orientale et occidentale, ancienne et moderne, la grande (divine) et la petite (humaine), harmonisant le théocentrisme et l'anthropocentrisme –nous rappelant donc pleinement que l'Homme est « l'image et la ressemblance de Dieu ».

À la fin des commentaires de sa traduction du Récit de l'exil occidental de Sohrawardi (Fata Morgana, 1993), Abdelwahab Meddeb confessait qu'il avait complètement raté le 8ème centenaire de la mort du grand soufi chiite (qualifié de « gnostique »), alors que le 29 juillet 1991, il s'approchait du lieu d'exécution à Alep, (actuellement –au moment où j'écris, en fin novembre 2014– ville martyre aux mains de « l'État islamique »), il avait littéralement raté un rendez-vous avec ce fantôme saint et prestigieux, ce martyre secret et caché victime d'un Islam aussi « orthodoxe » que celui des wahabites, des islamistes et des jihadistes actuels.

Moi aussi, j'ai raté quelqu'un : Abdelwahab Meddeb lui-même !

Comme il m'aurait été agréable de discuter avec cet homme à la culture prolifique, à l'intelligence profonde et surtout à l'extrême lucidité !

Car j'ai tenté d'échanger des idées religieuses avec des musulmans, le plus souvent sunnites, et tenter est le mot !

C'est qu'il m'est apparu, à chaque fois, qu'une barrière infranchissable s'érigeait entre mes interlocuteurs et moi. Ces gens ne pouvant, ni ne voulant, entendre ou concevoir d'autres idées que les leurs sur Dieu, les exposant avec une âpreté dont l'agressivité est toujours sous-jacente. Et si nous ne vivions dans une République laïque tempérée par quelques lois essentiellement justes, il est clair que mon sang, ma vie, ma femme, mon enfant et tous mes biens leur seraient licites, comme cela est préconisé dans certaines sourates et glorifié dans certains hadiths.

Voilà tout ce que n'était pas Monsieur Meddeb... Nous avons malheureusement perdu quelqu'un de beaucoup trop rare !

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