Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
À propos de Ces Français qui ont écrit demain. Utopie, anticipation et science-fiction au XXe siècle de Natacha Vas-Deyres (Honoré Champion, 2013)
Arsène
Cet ouvrage sorti il y a près de deux ans constitue une véritable somme. L’étude que l’auteure propose s’appuie en effet sur soixante-sept romans, depuis Les Morticoles de Léon Daudet et La Fin du monde de Camille Flammarion, publiés tous deux en 1894 et précédant d’une année Les Cinq Cent Millions de la Bégum et L’Île à hélice de Jules Verne, jusqu’à Globalia, œuvre de Jean-Christophe Rufin paru en 2004. Elle prend également en compte onze anthologies et des centaines d’études concernant une quarantaine d’auteurs, regroupant ce que l’on peut croire comme l’entièreté des travaux consacrés à la science-fiction francophone. Cette notion est prise au sens large, puisque le corpus couvre à la fois la littérature d’anticipation, d’utopie et de science-fiction (SF) proprement dite.
Le livre s’articule en trois parties qui inscrivent la littérature imaginative de l’avenir, que l’on peut faire remonter au Timée de Platon, par rapport à l’histoire et aux idéologies, aux peurs, aux guerres et à l’incertitude de l’avenir, ceci dans un long XXe siècle. L’ouvrage, publié dans la très universitaire collection « Bibliothèque de littérature générale et comparée » chez Champion, signe l’inscription de cette spécialité dans un univers légitime. Cette acceptation ne relève pas de l’évidence, comme le montre l’auteur tout au long de son texte. Ce n’est en effet qu’en 2000 que la Bibliothèque nationale de France (BNF) a créé un fond dédié à la SF.
Pour ce qui tient au fait que ce travail se limite à l’univers francophone, Roger Bozzeto indique dans sa préface : « la gageure était, bien entendu, de ne se référer que de façon marginale à la science-fiction anglo-saxonne. Il s’agissait de marquer une originalité de la science-fiction française ». Certes, mais pour qu’une originalité s’impose, il faut qu’elle passe par une comparaison à la fois horizontale et verticale, synchronique et diachronique, serions-nous tenter d’objecter. La seule déception qu’une lecture attentive de ce livre puisse générer tient justement à la faible présence d’un contexte international et de la question des influences. Cela ne saurait certes constituer un reproche, dans la mesure où l’auteur cerne d’entrée son sujet, au demeurant déjà massif comme concernant un univers culturel francophone. De plus, bien des passages soulignent que les écrits anglo-saxons existent et qu’ils ont eu de l’influence sur le paysage éditorial de livres et des revues spécialisées, telle Fiction née en 1953, où coexistaient traductions et nouvelles françaises, ou la collection « Présence du futur », chez Denoël, pratiquant dès l’année suivante, la même mixité. On a pourtant du mal à considérer que cette configuration littéraire, minutieusement décrite, ait pu fonctionner en vase à demi clos. Natacha Vas-Deyres souligne également le rôle important joué par Régis Messac qui fut à la fois à l’origine d’une œuvre importante, mais aussi de son ancrage dans un progressisme original parfumé de pessimisme, dans la mesure où, dans ses romans, jamais l’avenir ne fut radieux. Cela contrastait avec l’optimisme qui fut, à l’origine du genre, celui d’un Camille Flammarion ou d’un Jules Verne. Qui plus est, l’un des intérêts du livre est de montrer à travers les auteurs choisis que cette thématique aura concerné à la fois des spécialistes (de Jules Verne à Régis Messac, en passant par Georges Jean Arnaud et sa Compagnie des Glaces, ou René Barjavel), mais aussi de romanciers traditionnels comme Jean-Louis Curtis et, avant lui, Léon Daudet, Daniel Halévy, Georges Duhamel, Émile Zola, ainsi que de nombreux romanciers populaires. Cette énumération revient à un certain aplatissement très heuristique pour la mise en relief des thématiques, l’auteur ne se risquant jamais dans des jugements sur la qualité littéraire des œuvres prises en compte.