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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les femmes et la régularité : la course à l’échalote est lancée

Les femmes et la régularité : la course à l’échalote est lancée

Aline Robertson

Jean-Pierre Bacot s’est interrogé récemment sur ce blog, sur le point de savoir si la Grande loge nationale française (GLNF), à nouveau considérée comme puissance « régulière », allait ou non s’ouvrir aux femmes. Tout au moins, il s’agissait d’imaginer qu’elle pourrait tolérer à ses côtés une obédience féminine, à l’image de ce qui semble se dessiner au Royaume-Uni, dans une ambiance de déclin qui a été justement soulignée et une indifférence corolaire. Faute de posséder de pouvoir divinatoire, nous laisserons cependant cette hypothèse vivante, et ce d’autant plus qu’elle semble montrer le bout de son nez, non point à la GLNF, mais du côté de la Grande loge de l'Alliance maçonnique française (GL-AMF), dont nous rappellerons qu’elle est la fille ainée, aujourd’hui célibataire, de cette GLNF. En suivant en effet la blogosphère, nous avons appris qu’une tension était apparue entre la majorité écossaise (rite écossais ancien et accepté, REAA) de cette GL-AMF et leur actuel président, Claude Beau, issu, par un turnover institutionnel, de la petite minorité pratiquant le rite français. Si le différent semble essentiellement porter sur les thèmes à l’étude (réflexion sur la spiritualité ou sur la régularité) et sur le retour de méthodes jugées peu démocratiques, la question des femmes est apparue subrepticement le 15 mars dernier. Francis Bardot, l’un des animateurs de la majorité écossaise de la GL-AMF a en effet déclaré ce jour-là à Geplu, sur le blog hiram.be : « Laisser les FF et SS de toutes obédiences venir nous voir nous créerait d’abord un devoir d’exigence et voir comment nous travaillons pourrait leur donner envie de nous rejoindre. La non-réception des autres est aussi une planque pour la médiocrité initiatique : voir la FM anglo-saxonne ». On trouvera sur un autre blog, Le Myosotis du Dauphiné Savoie, tous les détails du débat qui a amené Francis Bardot à cette déclaration, placée en incidente, mais qui est de taille.

Prenons-donc date de ce qui pourrait relever d’une course à l’échalote. Qui fera le premier pas vers les femmes, de la GLNF ou de la GL-AMF, voire de la Grande loge de France ? La Loge nationale française (LNF) a créé une loge mixte, à l’activité rare, Élisabeth de Saint Leger, mais ce qui semble se préparer est d’une autre dimension. N’oublions pas qu’il s’agit, avec Francis Bardot, d’un ancien dignitaire du Suprême conseil pour la France de la GLNF, pôle de régularité française s’il en fût... et c’est donc de là que cette proposition a été avancée. Outre l’évolution idéologique dont cela témoigne, c’est peut-être, stratégiquement parlant, l’une des dernières chances pour la GL-AMF de sortir de son tragique isolement. Mais au-delà des considérations géopolitiques, c’est aussi l’existence, souhaitée explicitement par Francis Bardot, d’un spiritualisme croyant a-dogmatique, davantage ressenti, individualisé qu’intellectuel et théologique qui est en jeu, espace dans lequel l’aspect masculin pourrait devenir secondaire. Francis Bardot étant également un ténor et chef de chœurs réputé, on comprendra qu’il veuille mettre l’affaire en musique.

Quoi qu’il en soit, le courant maçonnique des « sociétaux », comme on les appelle chez les « réguliers » avec une sorte d’affection et, en tout cas, une reconnaissance d’altérité, est aujourd’hui féminisé, minoritairement, mais structurellement. Il l’est en effet jusqu’en son centre, le Grand orient de France. La question de la place des femmes dans le courant traditionaliste s’en pose de manière d’autant plus cruciale, car un déséquilibre s’est créé qui pousse les sœurs, dans leur ensemble, du côté des « sociétaux ». L’autonomie du féminisme, qu’il soit ou non revendiqué, en est une nouvelle fois établi. À l’image de ce qui se passe aujourd’hui dans le judaïsme israélien, les femmes revendiquent aujourd’hui une place égalitaire dans ce continent spiritualiste où les hommes les ont longtemps assignées, mais hors de toute position de pouvoir symbolique.

Si une telle évolution devait intervenir dans le monde maçonnique français avec, d’une part, la création d’une nouvelle obédience maçonnique féminine et, d’autre part, la possibilité de visites, il reste à savoir quelles francs-maçonnes seraient intéressées, notamment parmi les plus spiritualistes de la Grande loge féminine de France. Une attraction inverse de celle qu’exerce le Grand orient depuis sa féminisation pourrait se manifester. Certains semblent en tout cas souhaiter une telle évolution ressentie comme un rééquilibrage.

Quoi qu’il en soit, une telle féminisation de milieux maçonniques spiritualistes issus de la GLNF est d’ores et déjà à l’œuvre dans le Sud de la France, au sein de ce que Jean-Pierre Bacot appelle « le paysage post obédientiel ». Mais ne sommes-nous pas également dans le cas qui nous intéresse dans une configuration comparable, avec ces attractions-répulsions qu’exercent entre elles de petites planètes ?

Puisse faire la Grande architecte de cette constellation que les Écossaises anciennes et acceptées accèdent à leur phantasme de pureté. Ainsi soient-elles, qu'il s'agisse de soprani, de mezzos, de contralti, il est pour elles de beaux requiem au répertoire.

Post-scriptum :

Je venais d’envoyer ce post à la rédaction quand le blog de François Koch est revenu sur les deux initiatives de Roger Dachez. D’abord la publication d’un nouveau livre sur la régularité intitulé Régularité et reconnaissance, histoires et postures (éditions Conform, mai 2015). Ensuite, la création de la Loge nationale mixte française (LNMF) à propos de laquelle, il affirme que « La nouvelle LNMF aura le même fonctionnement que la LNF, un recrutement modeste et une taille humaine ». La mixité est, décidément, une affaire à suivre.

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