Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Quand la peur ne fait plus avancer
Julien Vercel
« Nous n'avons pas peur ! » écrivaient les journalistes de plus de trente médias, le 14 janvier 2015, après les assassinats dans la rédaction de Charlie hebdo. « Je n’ai pas peur pour moi, moi je prends tous les risques, c’est ma mission. Mais j’ai peur pour mon pays. J’ai peur qu’il se fracasse contre le Front national » déclarait Manuel Valls le 8 mars 2015, plaçant ainsi délibérément la campagne des dernières élections départementales sous le signe de la peur.
Depuis bien longtemps, la peur a servi de justification à l’action politique, y compris pour mener des politiques de solidarité. Il y eut Otto von Bismarck, au XIXe siècle qui a convaincu les élites prussiennes et allemandes de jeter les bases d’un système de protection sociale par crainte de voir les ouvriers céder au socialisme. Plus près, il y eut les Français soutenu par leur allié américain qui, par crainte du communisme dirigé depuis l’Union soviétique, ont instauré la sécurité sociale à la Libération. À chaque fois, la peur servait un réformiste progressiste.
Mais le réformisme de la peur que nous connaissons actuellement est punitif, autoritariste et invite au repli, pas à la solidarité. Qu’il soit écologique avec la trouille de l’apocalypse technologique ou qu’il soit sécuritaire avec la menace des attentats.
« La peur doit changer de camp ! » avait l’habitude de proclamer les militants du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) dans les années 2000, elle n’a pas fait que changer de camp... elle s’est répandue à tous les camps, à tous les domaines : peur de perdre son travail, son logement, sa santé, de connaître la relégation sociale et culturelle, la solitude sentimentale. Certes, la peur est toujours instrumentalisée, mais elle ne sert plus à justifier même un minime partage des richesses de ceux d’en haut, elle sert à désigner des boucs émissaires parmi ceux d’en bas. La peur pouvait mener à une politique qui élevait, elle encourage aujourd’hui une politique qui abaisse, à la construction de murs ou de frontières, de cloisonnements et de ségrégations. Le Front national est bien évidemment le parti de ce réformisme de la peur qui va dans le mauvais sens. Mais il a aussi de coupables complices dans les partis de gouvernement, parmi ceux qui, incapables de fédérer les citoyens autour d’une politique d’égalité, préfèrent s’égarer dans une politique d’identité.