Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Sans tomber dans la paranoïa, ni dans les délires complotistes, il faut reconnaître que les discours politiques ambiants ne sont pas faits pour nous aider à reprendre notre vie en main ou, en tout cas, pour nous inciter à sortir de notre solitude, à penser et à agir collectivement.
D’abord parce que la « contrainte » a servi trop souvent à justifier l’inaction politique : des déficits du commerce extérieur et des comptes publics jusqu’à « Bruxelles » ou, plus récemment, aux marchés financiers. Ensuite parce que les gouvernements ont depuis longtemps reconnu leurs limites. Quand, en 1999, Michelin annonce des licenciements, Lionel Jospin, premier ministre, explique qu’« il ne faut pas tout attendre de l’État ». Il n’est donc pas étonnant que les Français se mettent à croire que plus rien n’est possible.
Il faut encore ajouter à ce qui précède, le recours à un vocabulaire tellement sentimental mais si peu opérationnel. Chaque soirée électorale est l’occasion pour de mâles élus en déroute d’expliquer qu’ils ont entendu « la souffrance », « les inquiétudes » et « la colère » des électrices et des électeurs... avant de ne rien changer à leurs habitudes. Un ancien chef d’État à la mémoire courte justifie son come back parce qu’il n’a « jamais vu un tel désespoir, une telle colère dans le pays » (21 septembre 2014). Mais comme l’écrit fort justement Mariette Darigrand dans Comment les médias nous parlent (mal) (éditions François Bourin, 2014), le recours à un vocabulaire sentimental plutôt que politique comme la « colère » est bien pratique, ça évite de penser, ça sert le nihilisme, l’absence de perspective avec ses champions ô combien colériques : Marine Le Pen, Frigide Barjot et Jean-Luc Mélenchon.
Et quand la « colère » ne suffit pas, il y a « l’indignation ». elle est encouragée jusqu’à l’overdose par le Journal de 20 heures, les chaînes d’« information » en continue, Twitter ou les réseaux sociaux qui s’indignent à qui mieux-mieux. Mais que font ensuite ces vertueux « indignés » ? Ils sont satisfaits (le temps d’un clic)... et restent démunis (le reste de leur vie).
Car cette colère comme cette indignation, à la différence de celle prônée en son temps par Stéphane Hessel (Indignez-vous ! Indigène éditions, 2010), mènent directement à l’impuissance. Ou pire : elles renforcent celles et ceux qui provoquent colère et indignation et donc aboutissent au résultat inverse à celui escompté ! Il suffit alors d’ajouter un discours sur la responsabilité individuelle -vous savez ce discours courant dans les entreprises « qui en veulent »- et chacun finit par s’angoisser, se dévaloriser ou, comme le constate Claude Halmos (Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Faire face à la crise et résister, Fayard, 2014), par tomber en dépression.
Les mêmes qui brandissaient la « contrainte » pour ne rien faire et comprenaient « la colère » ou « l’indignation » des électrices et des électeurs, s’étonnent alors de leur manque de civisme. Mariant libéralisme et autoritarisme, ils en concluent qu’il est donc grand temps de les obliger à aller voter. Pour leur bien.