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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Petit catalogue des maux politiques français/ Épisode 10 : l’homme providentiel

Petit catalogue des maux politiques français/ Épisode 10 : l’homme providentiel

Julien Vercel

Si seulement la solution pouvait être aussi simple : la venue d’un homme providentiel, hier tombé du ciel, aujourd’hui sorti du rang. Un homme qui comprendrait la situation, à qui nous pourrions remettre notre destin entre ses mains protectrices, à qui nous pourrions enfin confier cette liberté et cette responsabilité dont l’exercice est si compliqué, qui nous fatiguent tant et grâce à qui nous pourrions succomber à la jouissance de la soumission…

À l’extrême-droite, c’est Marine Le Pen qui joue la femme providentielle, rien d’étonnant dans cette famille politique. Elle construit ainsi ce que Cécile Alduy et Stéphane Wahnich appellent une « cosmologie » (Marine Le Pen prise aux mots. Décryptage du nouveau discours frontiste, Seuil, 2015), c’est-à-dire une vision de l’être humain et de sa place dans le monde autour de mythes moisis comme la France éternelle, la perte de l’âge d’or, la décadence, le complot… et bien sûr l’homme –et, ici, la femme- providentiel. À droite, le côté « providentiel » est toujours lié à l’idée de la nécessité d’un « vrai » chef qui remettrait de l’ordre, rétablirait l’autorité bafouée par la démocratie parlementaire, les syndicats, Bruxelles, hier les Juifs, aujourd’hui les Musulmans. Comme le chantait Jean Ferrat : « Quand un Pinochet rapplique/ C'est toujours en général/ Pour sauver la République/ Pour sauver l'Ordre moral » (Le Bruit des bottes, 1975). Il est évident que seul un homme fort ou une femme forte peut protéger la société menacée par l'égoïsme des individus.

De Bonaparte à Nicolas Sarkozy en passant par De Gaulle, la droite sait entonner le refrain. C'est ainsi que pour ne pas ressembler encore plus à l’extrême-droite, Nicolas Sarkozy a mis en scène son retour sur le mode sacrificiel : « Ce serait une forme d'abandon que de rester spectateur de la situation dans laquelle se trouve la France, devant le délitement du débat politique, et la persistance de divisions si dérisoires au sein de l'opposition » (19 septembre 2014). Mais s’il croyait s’éloigner du Front national en insistant sur son « sacrifice », il se rapproche au final de Philippe Pétain qui déclarait le 17 juin 1940 : « Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur ». L’ex président reste donc empêtré dans sa « République bonapartiste » (Alain Duhamel, Libération, 4 juin 2015), à la fois revival suranné du XIXe siècle et marquée à l’extrême-droite du XXe siècle.

La gauche n’est pas à l’abri de la tentation de s’en remettre à l’homme providentiel, surtout quand les partis flanchent ou font défaut, ne représentent plus personne en dehors du clan de leurs élus. C’est à ce moment que certains rêvent d’une « démocratie charismatique » (La Gauche et le peuple, Jacques Julliard et Jean-Claude Michéa, Flammarion, 2014), avec un lien direct entre le chef et les masses, sans corps intermédiaire ! Il suffit de se rappeler les acrobaties du Parti communiste, allié électoral local du Parti socialiste, mais soutenant nationalement Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle de 2012 parce qu’il était le seul leader capable d’un score supérieur aux 1,9% réalisés par Marie-George Buffet en 2007. Chez les socialistes, Jacques Delors, Michel Rocard ou plus récemment Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn n’en finissent pas d’incarner ces hommes et femme providentiels, mais, à la différence de la droite, l’homme ou la femme providentiel de gauche n’a jamais vocation à présider… Toutes ces personnalités ont été, jusqu’à présent, écartées du pouvoir présidentiel, que ce soit de leur fait ou de celui de leurs ennemis politiques.

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