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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Un mythe contemporain : les Illuminati. Qu’est-ce que le mythe des Illuminati ? (1/4)

Un mythe contemporain : les Illuminati. Qu’est-ce que le mythe des Illuminati ? (1/4)

Stéphane François

Ce texte est une version très légèrement abrégée de l’article paru dans « L’Anthropologie pour tous », Actes du colloque d’Aubervilliers, 6 juin 2015, édités par Jean-Loïc Le Quellec et l’équipe de « L’Anthropologie pour tous ».

Les Illuminati… une sorte de mythe de l’extrême modernité, intéressant à étudier pour comprendre la diffusion des idées. Le 26 mai 2015, en tapant simplement « Illuminati » sur le moteur de recherche Google, on a près de 41 millions d’occurrence en toutes langues et provenant du monde entier. Cela montre son importance dans notre monde saturé par l’information. Pourtant, il s’agit d’un mythe qui ne parle qu’aux plus jeunes, voire à ceux qui évoluent dans les contre-cultures. Il est donc nécessaire de le définir (1). S’il est un mythe postmoderne, ses origines sont à chercher dans un passé de plusieurs siècles, la fin du XVIIIe siècle pour être précis, dans les milieux hostiles à la Révolution française (2), avant de se transformer au contact de la culture radicale américaine (3). Malgré son apparition dans ces secteurs bien précis de l’extrême droite catholique et contre-révolutionnaire, il s’est émancipé pour devenir un thème fréquent de la culture populaire (4).

Les Illuminés, à l’origine du mythe des Illuminati, était une formation politique apparue en Bavière en 1776. Elle fut mise en place par un intellectuel et un enseignant allemand Adam Weishaupt (1748-1830). L’objectif était de créer une société secrète progressiste qui devait lutter contre une autre, la Rose Croix d’or, paramaçonnique et de nature conservatrice. En effet, au siècle des Lumières, les sociétés groupées sous le nom de « Rose-croix » existent surtout en Allemagne, où elles prennent le nom encore plus poétique de « Rose-Croix d’or » (Gold-und-Rosenkreutz). Il s’agit de groupements épars, fréquemment intéressés par l’alchimie. C’est vers 1755 qu’on voit apparaître des cercles importants portant ce nom : en Allemagne du Sud, en Europe centrale, à Francfort. Ils recrutent des gens importants, comme Stanislas II, roi de Pologne. Le groupe visé par Weishaupt est la « Rose-Croix d’or d’ancien système », qui devient 1777 l’un des groupes quantitativement les plus importants, qui existera durant 9 ans environ. Ouvertement ésotérique, baignant dans l’alchimie, ce groupe draine des francs-maçons à la recherche de symbolisme… Même si il semblerait qu’aucune de ces sociétés n’aient été maçonniques, bon nombre de leurs membres sont francs-maçons.

En outre, la partie catholique de l’Allemagne était dominée par les Jésuites, très conservateurs, qui formaient les futures élites de l’État. Il s’agissait donc de devancer ces forces conservatrices en formant discrètement une élite progressiste. D’où un prosélytisme dans le cadre d’une société secrète. En aucun cas, comme beaucoup le disent, en particulier ses adversaires, il ne s’agissait pour les Illuminés de Bavière de noyauter ou de faire de l’entrisme dans les différents secteurs de la société pour la renverser, dont la franc-maçonnerie, qui n’est en rien à cette époque une secte ou une société secrète, mais une société de personnes discutant, après la célébration de rites, de questions religieuses ou de société.

Le projet de Weishaupt fut un échec : il attira peu de personnes, surtout des proches et d’anciens élèves. Mais tout changea avec l’arrivée dans l’ordre en 1780 d’un aristocrate lui-aussi membre des Lumières, Adolf von Knigge (1752-1796). Celui-ci décida qu’il fallait investir les loges maçonniques pour y recruter de nouveaux membres, ces loges étant en plus des lieux de rencontre des élites, mais sans mentionner leur appartenance à la société secrète des Illuminés. Dans ces loges, il ne s’agissait pas de cibler de futurs fonctionnaires, mais des personnes déjà en poste. Cette stratégie fonctionna et les Illuminés passèrent de quelques dizaines de membres à plus de 1500.

Malgré les précautions, l’existence de l’ordre des Illuminés est connue. Dès 1782, certains francs-maçons hostiles aux Illuminés dénoncent leur présence au sein des loges. Et en 1785, l’Électeur de Palatinat, Charles-Théodore (1724-1799), dévoile publiquement, un complot. Les membres sont arrêtés, voire même persécutés. Weishaupt doit quitter la Bavière et petit à petit l’ordre disparaît…

L’idée d’un complot pour améliorer la société est abandonnée. Le mythe persiste cependant, mais il se transforme en profondeur. Ainsi, il réapparaîtra sur Internet dans les années 2000. Les Illuminés, devenu Illuminati – « Illuminati » étant l’écriture anglo-saxonne de nos « Illuminés », et qui, de fait, est passée à la postérité –, sont toujours une société secrète. Ils auraient infiltré, à l’échelle mondiale, les rouages du pouvoir : les banques, les industries, les propriétaires des grands médias et les stars du show business... Même les dirigeants politiques et les différents monarques de notre planète en seraient ou seraient manipulés par ces Illuminati. L’objectif, en revanche, a changé. Dans cette nouvelle mouture du mythe, il ne s’agit plus d’éduquer les gens pour leur donner un avenir meilleur, mais au contraire de provoquer des crises financières, des attentats terroristes, de promouvoir l’usage des drogues, et d’appauvrir de pans entiers de la population, bref de semer le chaos, pour mieux les contrôler et les asservir.

Cette nouvelle version a beaucoup de similitudes avec un autre mythe important : Les Protocoles des Sages de Sion, qui seraient le plan écrit d’agitateurs Juifs pour asservir le monde. De fait, nous sommes en présence de mythologies contemporaines et de mythes « agglutinants », c’est-à-dire de mythes différents qui s’agrègent et fusionnent entre eux. Du fait du caractère polymorphe de ce nouveau mythe, on le retrouve formulé aussi bien par l’extrême gauche que par l’extrême droite, toute deux étant très perméables aux théories du complot.

À suivre...

Éléments bibliographiques :

Sur les Rose-croix en Allemagne : Antoine Faivre, « Rose-croix », Encyclopædia Universalis

Sur l’histoire des Illuminés de Bavière : René Le Forestier, Les Illuminés de Bavière et la franc-maçonnerie allemande (1914), Milan, Archè, 2001 ; Pierre-Yves Beaurepaire, « Illuminati, Illuminaten, Illuminés de Bavière », in Pierre-Yves Beaurepaire (dir.), Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Paris, Armand Colin, 2014, pp. 113-118 ; Adam Weishaupt, Introduction à mon apologie suivi de Johann Heinrich Faber, Le Véritable Illuminé ou les vrais rituels primitifs des Illuminés, Tours, Grammata, 2010

Sur Les Protocoles des Sages de Sion : Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion. Faux et usages d’un faux, Paris, Fayard/ Berg International, 2004.

Sur les mythologies contemporaines : Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 32 ; « Rennes-le-Château : Quelques questions posées par un “mythe agglutinant” », Politica Hermetica, n°9, 1995, pp. 194-208.

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S
Passionnant, on attend la suite!
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