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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Le libéralisme, patate chaude de la gauche

Le libéralisme, patate chaude de la gauche

Julien Vercel

Le 27 septembre 2015, Emmanuel Macron a déclaré lors d’une rencontre organisée par Le Monde : « Le libéralisme est une valeur de gauche ». Pour beaucoup, le jeune ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique tombait ainsi enfin le masque. Par ses déclarations provocatrices, il assumait le rôle de « l’homme que vous aimerez haïr », comme se définissait, en son temps, Erich von Stroheim à force d’incarner des officiers prussiens. La gauche avait déjà un ennemi identifié : le « libéralisme », elle dispose désormais de son incarnation : Emmanuel Macron. Mais comment un membre d’un gouvernement de gauche peut-il se revendiquer du libéralisme ?

Si on veut céder au réflexe pavlovien de la condamnation, c’est simple. La filiation du libéralisme peut être située clairement à droite : depuis la révolution néolibérale de Ronald Reagan aux États-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni jusqu’à la campagne « libérale » de Jacques Chirac en 1986. Les choses ont commencé à se brouiller avec Tony Blair, pourtant travailliste, qui revendique une « troisième voie » ralliant Gerhard Schröder et Bill Clinton. Tout lien avec le marxisme est abandonné et les politiques de solidarité ne doivent plus perturber l’économie de marché. Cependant, la France paraît encore épargnée avec Lionel Jospin qui déclare : « Si la troisième voie se situe entre le communisme et le capitalisme, alors elle n’est qu’une nouvelle appellation, propre aux Britanniques, du socialisme démocratique, ce qui ne veut pas dire qu’en France nous pensons à l’identique. Si, en revanche, elle veut s’intercaler entre la social-démocratie et le libéralisme, alors je ne la reprends pas à mon compte » (La Revue Socialiste, n°1, printemps 1999)… Bientôt mis à l’index par ses détracteurs lorsque le Premier ministre de la gauche plurielle avoue : « Le projet que je propose au pays, ce n’est pas un projet socialiste » (France 2, 21 février 2002). C’est à la fin des années 1990 que la « troisième voie », entre la social-démocratie et le libéralisme est enfin nommée : en septembre 1998 dans Le Monde diplomatique,‎ Laurent Vincent qualifie les membres de la Fondation Saint-Simon d’« Architectes du social-libéralisme ». Le mot est lâché, le « social-libéral » des années 2000 remplace le « social-traître » des années 1930, comme lui, il va servir à disqualifier les socialistes au réformisme trop modéré.

Car des responsables de gauche ont revendiqué une part de filiation. Après tout, c’est ce que disait Lionel Jospin le 21 février 2002 en tentant la synthèse entre la modernité de la mondialisation et la place que chacun doit y trouver. C’est également ce qu’a fait Bertrand Delanoé en 2008, dans son livre d’entretien avec Laurent Joffrin (De l’audace, Robert Laffont,) lorsqu’il avait osé déclarer que « la gauche que je défends est par essence libérale ». D’abord, il fustigeait le sort réservé au libéralisme par la droite : « Ce sont les conservateurs qui l’ont dévoyé au service d’une idéologie du laisser-faire économique et de la perpétuation des rentes et des privilèges dont ils bénéficient déjà ». Ensuite l’ex-maire de Paris ne tombait pas dans le piège de l’extrême-gauche qui confond « social-libéralisme » et « socialisme libéral », « Non, je ne suis pas social-libéral : je n’adhère pas à ce que représente ce courant de pensée » parce qu’il hisse « le libéralisme au rang de fondement économique et même sociétal, avec ses corollaires : désengagement de l’État et laisser-faire économique et commercial ». Il donnait donc la définition suivante de son libéralisme : « C’est une doctrine d’affranchissement de l’homme, née dans l’Europe des Lumières. C’est, comme son nom l’indique, une idéologie de la liberté, qui a permis l’accomplissement de grandes conquêtes politiques et sociales. Le principe en est simple : il n’y a pas d’oppression juste, il n’y a pas de chaîne qui ne doive être brisée, il n’y a pas de légitimité, ni donc de fatalité, à la servitude. Et le libéralisme, c’est dans le même temps l’idée que la liberté est une responsabilité, qu’être libre ce n’est pas faire ce que l’on veut mais vouloir ce que l’on fait. Au nom de cet héritage intellectuel- là, celui de Montesquieu, de John Locke, au nom de ceux qui ont su se dresser contre le confort mortel de l’habitude pour dire non, je suis libéral. Je suis libéral parce que j’aime la liberté. Pour moi-même : j’ai toujours voulu être un homme libre de toutes les puissances et de toutes les dominations. Et pour les autres : j’aime les peuples libres qui défient la rigueur de l’histoire, j’aime que, collectivement, s’exprime le désir d’avancer fièrement dans la voie que l’on s’est souverainement tracée. Et ce que je dis des peuples vaut pour les personnes ».

Il est même possible de remonter plus loin dans le temps, au temps où les socialistes étaient bousculés par le marxisme. Ainsi, dès 1890, Alfred Naquet publiait Socialisme collectiviste et socialisme libéral où il expliquait que l’abolition de la concurrence ne mène pas à une prospérité équitable et prônait notamment la réduction du temps de travail et l’impôt progressif. Mais, en France, cette tradition intellectuelle a été éclipsée par les années de domination intellectuelle et politique du Parti communiste sur la gauche, amalgamant les expressions « socialisme libéral » et « social-libéralisme » dans un sens évidemment péjoratif.

Ces invectives masquent pourtant le vrai débat dont devrait se préoccuper la gauche : celui des liens entre les libéralismes politique, culturel et économique, sur le fait de savoir s’ils sont ou non dissociables. Pour le philosophe Jean-Claude Michéa, ces différents aspects du libéralisme sont inextricablement liés pour fabriquer un système qui ignore les limites (Les Mystères de la gauche, de l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Éditions Climats, 2013).

Alors le libéralisme est-il de gauche ? La patate est plus que chaude, elle est brûlante.

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A
L’intérêt de ce blog est de ne pas parler que de maçonnerie. Ca me semble même assez bien équilibré. Il n’est pas interdit aux maçonnes et maçons de sortir de leur bocal et les articles de Julien,qui ne manquent pas d’humour vont à mon avis dans ce sens.
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J
La rédaction du blog a accepté mon article parce qu'il existe des passerelles entre le libéralisme et la maçonnerie, ne serait ce que dans le contexte historique de la fin du XIXe siècle et la construction du rite français. Et parce que le débat sur l'étendue du libéralisme (depuis le sens économique du terme) interroge l'objectif maçonnique de justice.<br /> Mais je suis d'accord avec vous, ces liens auraient pu être explicités pour ne pas apparaître capillotractés ou nécessitant un jeu de billard à (au moins) trois bandes.
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L
passionnant... et le fait maçonnique là-dedans (objet du blog) ?
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