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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Que le dernier curé n’oublie pas d’éteindre la lumière de la sacristie

Que le dernier curé n’oublie pas d’éteindre la lumière de la sacristie

Clément Larchevêque

Ce n’est pas si lointain. Celles et ceux qui vivront assez longtemps pour connaître l’an de grâce 2040 verront le clergé français accéder au titre de rareté culturelle, espèce à protéger et à subventionner. En effet, si l’on en croit Le Figaro, journal qui n’est pas considéré comme l’organe du parti anticlérical, dans son édition du 2 juillet dernier, les quelque 120 prêtres qui ont été ordonnées en France en 2015 (diocésains ou religieux), sont à mettre en rapport, d’après les dires d’un évêque (« J’ordonne un prêtre par an, j’en enterre douze »), avec les quelque 1 400 qui seront passés dans le même temps de vie à trépas. Le journal ne mentionne pas ceux qui ont démissionné, mais l’ordre de grandeur est suffisamment impressionnant pour qu’on ne s’arrête pas à ce détail, sans parler de ceux qui sont suspendus pour cause d’appartenance maçonnique. Quoi qu’il en soit, nous sommes passés en France, prétendue «fille aînée de l’Église », de 29 000 prêtres, toutes catégories confondues, en 1995, à 15 000 aujourd’hui et les prévisions pour l’année 2020 portent sur un effectif de 6 000 environ. Quant on sait que la moitié de ces prêtres a aujourd’hui plus de 75 ans, on peut donc prévoir, sans lire dans le marc de café, qu’en 2040, au plus tard, en France, mais aussi dans d’autres pays européens, la messe sera vraiment dite. La Messa è finita, disait déjà Nanni Moretti pour sa chère Italie en 1985.

Les nombres sont édifiants. Avec 138 séminaristes inscrits en première année, chiffre en légère augmentation, gaudemus igitur, diront certains, on peut estimer qu’il y aura dans les prochaines années, au vu des abandons en cours de parcours, au maximum une bonne centaine de nouveaux prêtres ordonnés par an, et une baisse annuelle de quelque 1 500, eu égard au vieillissement du clergé. Les 4,5% de français qui vont régulièrement à la messe (dixit toujours Le Figaro) vont devoir se débrouiller seuls, comme le font déjà certains protestants libéraux en mal de pasteurs calvinistes ou luthériens, d’autant que même les familles très religieuses et nombreuses ne parviennent pas à générer en leur sein suffisamment de vocations. Parallèlement, le nombre de religieuses apostoliques, c’est à dire inscrites dans une action sociale, s’écroule et celui des moines non prêtres et des moniales s’érode. Le catholicisme, plus que toute autre religion, étant structuré autour de son clergé, il disparaît de la scène - nous disons bien disparaît - sous nos yeux étrangement indifférents, dans la mesure où parallèlement, toutes les statistiques de croyances et de pratiques menées à l’échelle nationale ou européenne, sans exception, marquent une véritable déshérence. Cela ne veut pas dire que la trace du christianisme ne restera pas très longtemps inscrite dans le paysage, la toponymie, les séries télévisées et, plus généralement l’histoire, mais le présent est déjà marqué par une désertification cléricale qui promet de s’accélérer.

En conséquence, pour ceux qui glosent sur une confrontation entre le christianisme et l’islam, le paysage est en réalité tout autre. C’est de « post christianisme » qu’il s’agit en effet. Pour le «post islam », on attendra un peu et concernant le « post judaïsme », cela est déjà vrai pour la branche ashkénaze. Sur un autre plan, les maçons traditionalistes qui professent que « Le Grand Architecte Est Dieu, Nom De Dieu ! » vont bientôt se retrouver, à proprement parler, en culture hors sol. Quant aux anticléricaux perdurants, ils pourront toujours espérer un rassemblement médiatique de minoritaires bruyants pour jouer à se faire peur. Il est possible que, dans ce registre, la Belgique connaisse un petit décalage temporel et il est certain que les autres voisins de la France, d’où qu’ils partent, suivent le même chemin de Croix des Églises traditionnellement installées. Ajoutons donc dix années pour que le désert post chrétien s’étende outre Quiévrain et rejoigne celui qui a commencé à gagner les Pays-Bas.

[Une première version de ce texte est parue sur Hiram.be]

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