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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Un mythe contemporain : les Illuminati. Le rejet de la franc-maçonnerie et de la Révolution française (2/4)

Un mythe contemporain : les Illuminati. Le rejet de la franc-maçonnerie et de la Révolution française (2/4)

Stéphane François

L’ordre des Illuminés, peu connu hors du monde germanique, réapparaît à la suite de la Révolution française, dans différents écrits politiques. Le premier à mentionner cet ordre est un jésuite conservateur, antidémocrate et rejetant les idées des Lumières, Augustin de Barruel (1741-1820). Le prêtre dénonce dans Mémoires pour servir l’histoire du jacobinisme, un ouvrage en 5 tomes paru à Hambourg entre 1797 et 1799 (une édition abrégée en deux volumes parut aussi à Londres en 1798-1799), le rôle supposé des francs-maçons et des Illuminés de Bavière dans le déclenchement de la Révolution française. Toutefois, « il est précédé en cela par la brochure du comte Ferrand, publié à Turin en 1790, Les Conspirateurs démasqués. » (Gérard Gengembre, p. 83, voir éléments bibliographiques). Cependant, Ferrand voit surtout dans ce complot l’action d’un protestant, Necker (1732-1804). Barruel va plus loin : il estime que le complot est à la fois antichrétien, antimonarchique, cherchant à détruire la société d’Ancien régime. Les acteurs changent aussi : il ne s’agit plus d’un complot protestant, mais maçonnique et en particulier illuminé. Là encore, Barruel ne fait que reprendre une idée déjà formulée : « Cette dénonciation avait été répandue en France dès 1789 par Jean-Pierre-Louis de Luchet, marquis de La Roche du Maine, dit aussi “marquis de Luchet” dans son Essai sur la Secte des Illuminés » (Gérard Gengembre ).

Cette idée de complot illuminé se retrouve également chez un auteur écossais, John Robison (1739-1805) qui publie, également en 1797 à Edinburgh, un ouvrage développant la même thèse, intitulé Preuve d’une conspiration contre toutes les religions et les gouvernements d’Europe fomentées les assemblées secrètes des francs-maçons et des illuminé (la troisième édition française, de 1798, titre : Preuves de conspirations contre toutes les religions et tous les gouvernements de l’Europe, ourdies dans les assemblées secrètes des Illuminés, des Francs-Maçons et des sociétés de lecture, recueillies auprès de bons auteurs). Pour ce dernier, les Illuminés auraient infiltré les loges françaises et auraient provoqué la Révolution française dans le but de mettre en place un gouvernement mondial. Cette idée se retrouvera dans la version contemporaine des Illuminati.

À compter de ce moment, l’idée d’un complot mondial, d’une société secrète cherchant à renverser les gouvernements, va se diffuser dans différents milieux et différents pays. Jusqu’à récemment, cette thèse était surtout mise en avant par des auteurs ou des groupes que l’on peut classer à l’extrême droite, principalement dans la mouvance catholique traditionaliste et contre-révolutionnaire. Encore aujourd’hui, des militants notoires de l’extrême droite, considèrent que la Révolution française est à chercher dans l’action de ces Illuminés. C’est par exemple le cas de l’antisémite et ancien collaborateur Henry Coston (1910-2001) qui diffusa cette idée des années 1930 à sa mort en 2001 et qui publia en 1977 un livre sur ce thème, La Conjuration des Illuminés (Paris, Publications Henry Coston, 1977). C’est le cas également de Philippe Ploncard d’Assac, avec le livre Le Complot mondialiste paru en 2007 (Toulon, Société de philosophie politique). Nous pourrions multiplier les exemples…

Henry Coston et Jacques Ploncard (dit d’Assac), le père de Philippe Ploncard d’Assac, étaient des militants d’extrême droite dont l’amitié était soudée par un antisémitisme et un antimaçonnisme virulents. Ainsi, Jacques Ploncard participe, dès la fin des années 1920, à la Revue Internationale des Sociétés Secrètes (fondée en 1912) du très antisémite et antimaçon Monseigneur Ernest Jouin (1844-1932). En 1979, Jacques Ploncard d’Assac publie un ouvrage intitulé Le Secret des francs-maçons (Édition de Chiré, Chiré en Montreuil). Cet ouvrage a été plusieurs réédité depuis sa publication et est toujours considéré par les milieux de l’extrême droite catholique comme un ouvrage de référence. Henry Coston publiera une vingtaine d’ouvrages antimaçonniques durant toute sa carrière, sous son nom ou sous différents pseudonymes. Conspirationnistes, ils participèrent durant la guerre au dépouillement des archives du Grand orient de France et à la recherche d’une supposée subversion maçonnique. Ils étaient en outres des membres influents de la Commission d’études judéo-maçonniques (CEJM) créée à l’instigation du lieutenant SS Moritz en 1942, chef de l’action antimaçonnique en zone occupée et qui siégeait dans les locaux du Grand orient de France. Le financement de leurs activités provenait des occupants nazis, qu’ils fréquentaient dès 1934, mais également de l’État français. Leurs thèses furent reprises après-guerre par différents groupes extrémistes, allant des néonazis aux catholiques traditionalistes.

À suivre...

Éléments bibliographiques :

Sur Augustin de Barruel : Gérard Gengembre, « Barruel, Augustin de », in Jean-Clément Martin (dir.), Dictionnaire de la contre-révolution, Paris, Perrin, 2011, pp. 83-85 et, avec des réserves, Michel Riquet, Augustin de Barruel : un jésuite face aux jacobins francs-maçons, Paris, Beauchesne, 1989

Sur Henry Coston et Jacques Ploncard : Michaël Lenoir, « Henry Coston (Henri Coston, dit) et Jacques Ploncard d’Assac (Jacques Ploncard, dit) », in Pierre-André Taguieff (dir.), L’Antisémitisme de plume. 1940-1944. Études et documents, Paris, Berg International, 1999, pp. 370-384

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