Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Un grand patron qui parvient à se dérober, des cadres plus que molestés et des salariés en colère... les images sont passées en boucle sur toutes les chaînes de télévision dites d’« informations ». Ces images avaient deux fonctions essentielles. D’abord faire peur aux classes dirigeantes en ranimant le spectacle de la foule violente (rappelons-nous que la nuit du 4 août 1789 parisienne abolissant, pour un temps, les privilèges ne doit son existence qu’au fait que les demeures des maîtres étaient prises d’assaut dans presque toutes les provinces françaises) et, ainsi, justifier les mesures de police contre ces « agissements de voyous » comme le dit Manuel Valls dès le 6 octobre. Ensuite conforter les francophobes et autres déclinistes dans leur vision d’une France incapables de se réformer dans la sérénité et indécrottablement marquée par les restes de la « lutte des classes ».
Pourtant il y avait d’autres images bien plus éclairantes sur les « blocages » français. Une vidéo postée sur Facebook par les salariés d’Air France montrait une salariée qui essayait, en vain, d’établir le dialogue avec les cadres encore présents : « On nous a demandé de faire des efforts, on les a faits. Cela fait quatre ans que nos salaires n'ont pas évolué. Et c'est nous qui trinquons. Et on nous demande aujourd'hui d'être gentils et de comprendre ? ». Devant les réponses évasives ou limitées des cadres qui se disent « non habilités », la salariée poursuit : « C'est de la considération, ça ? On n'est pas venu chercher le conflit messieurs, on n'est pas venu pour être violents, on n'est pas venu pour vous manquer de respect. On est venu pour voir des gens qui puissent nous apporter des réponses et avoir le sentiment, l'impression, d'être pris en considération. Juste ça. Mais même ça, vous ne pouvez pas nous le donner. Pourtant, nous on est fiers de le porter cet uniforme. Nous, on se bat pour notre compagnie ».
Cette salariée exprime sa colère avec des mots qui soulignent l’injustice de sa situation. Pas étonnant qu’elle soit devenue le symbole d’« Une colère sociale universelle » (Cécile Daumas, Libération, 8 octobre 2015). Parce qu’elle rejoint l’appel à l’indignation de Stéphane Hessel (Indignez-vous !, Indigène éditions, 2010) qui a été vendu à plusieurs millions d’exemplaires et a inspiré la création de mouvements d’« indignés » comme en Espagne. Parce qu’elle rappelle aussi une autre salariée indignée, celle d’un court-métrage tourné par des élèves d’une école de cinéma intitulé Reprise du travail aux usines Wonder. Après trois semaines de grève en 1968, les ouvriers avaient voté la reprise du travail aux usines Wonder de Saint-Ouen. Au milieu de la foule des ouvriers et des délégués syndicaux, une ouvrière affirme que la grève n’a servi à rien, que les salariés n’ont rien obtenu, elle crie et pleure : « Non, j’rentrerai pas, j’foutrai plus les pieds dans cette taule, c'est trop dégueulasse ! ».
En 1968 comme en 2015, l’énoncé d’intérêts aussi divergents saute aux yeux et aux oreilles et ne peut qu’inciter à la révolte... provoquant d’utiles et rapides mises au point. C’est ainsi que les auteurs de la séquence d’Air France de 2015 ont précisé qu’« il est très important de noter qu'après cette intervention, nous avons discuté longuement avec Monsieur Mie [le directeur des affaires sociales] ». Et que Pierre-Olivier Bandet, directeur général adjoint du cabinet de la présidence et affaires publiques, a expliqué, dans une vidéo postée sur YouTube : « Je regrette l'interprétation qui a pu être faite de cette vidéo et je tiens à affirmer que, plus que jamais, la direction d'Air France place le dialogue social au cœur de ses priorités ».
Finalement, il ne reste plus que Nicolas Sarkozy qui, jouant la posture gaulliste après avoir joué les postures atlantiste, libérale ou extrême-droitière... continue à dénoncer « la chienlit », retrouvant les mots et sa détestation de mai 68 et oubliant que c’est ce mouvement social qui a marqué le début de la ringardisation du général, dépassé par l’aspiration à la liberté et à l’égalité de toute la société.