Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Dans le flot de commentaires qui s’est déversé au soir du premier tour des élections régionales françaises, deux aspects qui semblent liés n’ont pas été pris en compte.
Le premier tient au fait que si les abstentionnistes sont scrutés quantitativement et qualitativement, il n’en va pas de même des quelque trois millions de Français qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales dont la moitié des moins de 25 ans. Il faudrait même y ajouter les « mal inscrits », c’est-à-dire les citoyens qui, suite à un déménagement, négligent de se réinscrire et ne savent plus exactement, le jour du vote, où ils sont inscrits. Dans un pays où, contrairement à la Belgique, le vote n’est pas obligatoire, on peut estimer que la première catégorie, celle des non inscrits, recouvre, bon an mal an, les personnes les moins socialisées, si l’on met à part quelques rares théoriciens de l’hyper marginalité. Dans la seconde catégorie des « mal inscrits », on retrouve les jeunes adultes parfois très bien informés sur la vie politique, s’installant en couple, fondant une famille, faisant une mobilité professionnelle.
Or, et c’est le deuxième aspect à souligner, on répète à l’envi, dans un registre d’excuses sociologisantes, que les électeurs du Front national seraient essentiellement des personnes socialement reléguées. S’il s’est agi, comme c’est probable, à assiette quasi égale (avec 5 points de votants en plus que lors des élections régionales précédentes), d’un simple déplacement de voix, à savoir une abstention à gauche et une mobilisation à l’extrême droite, la poussée de ce courant nationaliste s’est donc effectuée pour partie par cette mobilisation et pour une autre partie par un glissement de voix de droite, les digues ayant lâché, comme cela a été longuement expliqué. Ces électeurs sont donc davantage socialisés qu’on voudrait bien le dire et relèvent d’une expression idéologique consciente.
En conséquence, il semble que les responsables politiques, comme les commentateurs politiques, ne s’intéressent pas à celles et à ceux qui échappent le plus au suffrage et qui constitueront toujours un point aveugle, même lors d’une élection présidentielle entraînant 85% de votants. En revanche, plusieurs études ont été consacrées à ce phénomène de non inscription, qui, nous dit Céline Braconnier, n’est pas comptabilisée dans les chiffres officiels de l’abstention et affecte 7 % des Français en moyenne. Pour ceux qui sont d’origine étrangère, le pourcentage monte à 35 % et à environ 15 % pour les Français vivant dans les quartiers populaires.
Il reste une autre question, pourtant vertigineuse, qui n’est pas posée. Si critique il y a d’une politique gouvernementale jugée injuste pour les couches populaires, comment se fait-il que la critique progressiste, installée de longue tradition à la gauche de la gauche ne morde pas et ne se traduise pas dans le suffrage ? Pourquoi ne pas interroger l’impasse des théories critiques progressistes, qu’elles soient marxistes, libertaires ou autres, incapables de penser leur inverse, à savoir la position antimoderne théorisée par la Nouvelle Droite comme relevant aussi d’une critique. Il semble même que le nouveau paysage intellectuel semble témoigner d’un véritable renversement d’hégémonie au profit des antimodernes.
En savoir plus : BRACONNIER Céline, DORMAGEN Jean-Yves, VERRIER Benoît, Non-inscrits, mal-inscrits et abstentionnistes : diagnostic et pistes pour une réforme de l'inscription sur les listes électorales, Centre d’analyse stratégique, rapport n°11-2007, août 2007.