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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les Femmes dans la franc-maçonnerie française (2/2)

Les Femmes dans la franc-maçonnerie française (2/2)

Jean-Pierre Bacot

Le paysage philosophique

(Version amendée de celle parue sur hiram.be)

Dans un essai de typologie qui sera loin d’atteindre en précision ce que nous avons proposé dans la première partie de cet article, nous voudrions maintenant tenter d’observer ce qu’il en est de la présence des soeurs par grandes familles de rituels. Nous pensons en effet que cela détermine, notamment par rapport à la question de la croyance, des cadres d’exercice de la pensée qui peuvent être différents. Nous proposons de déterminer quatre grandes familles, sachant qu’elles pourraient être affinées et que leurs frontières sont floues.

1/ Le rite français est une pratique majoritaire au Grand orient de France (GODF). A la Grande loge féminine de France, il concerne un petit quart des effectifs. A la Grande loge mixte de France (GLMF) il est celui de la moitié des membres et à la Grande loge mixte universelle (GLMU) de la majorité. Ce rite existe dans différentes variantes qui partagent, sauf exception, l’absence de référence au Grand architecte de l’univers (GADLU) et un rapport plus ou moins direct au Rite des Modernes de la fin du XVIIIe siècle. Cela doit concerner bon an mal an quelque 3 000 sœurs de la GLFF, 1 200 de la GLMF, 1 500 du GODF, 500 de la GLMU, soit un peu plus de 6 000 sœurs en France.

2/ Le rite écossais ancien et accepté est à l’œuvre dans bon nombre de loges du Droit humain (DH), avec invocation « au progrès de l’humanité ». Cela touche à peu près 7 000 sœurs du DH, et dans un cadre peu ou prou comparable, 200 de la GLMF, 100 de la GLMU, soit un total de quelque 7 300 maçonnes.

3/ Ce même rite est pratiqué dans un cadre spiritualiste, avec référence au GADLU, à la Grande loge féminine de France (GLFF). Cela concerne peu ou prou 11 000 maçonnes, à quoi s'ajoutent 3 000 du DH, 1000 de la GLMF, 1000 des petites obédiences et des loges écossaises du Grand Orient, auxquelles on peut adjoindre certaines membres des loges féminines au rite français rétabli qui invoquent également le Grand architecte, pour un total d’environ 16/17 000 maçonnes.

4/ Le régime écossais rectifié (RER), très minoritaire au GODF à la GLFF et à la GLMF, les rites égyptiens et autres rites spiritualistes (même si une partie de cette famille ressortit peut-être de la catégorie précédente), les pratiques ne varietur du rite français, tous contextes où ce GADLU est assimilé à la divinité. On trouvera probablement moins d’un millier de soeurs concernées par cette option théiste, essentiellement dans de petites obédiences, y compris désormais, la branche mixte de la Loge nationale de française (LNF), voire, marginalement, au Grand Orient de France.

Quoi qu’il en soit de cette typologie que l’on pourrait, répétons-le, préciser, mais à condition de posséder des données plus précises, il est évident que l’option la plus traditionaliste, parfois quasi religieuse, telle que la pratiquent chez les hommes la Grande loge nationale française (GLNF), la Grande loge de l'alliance maçonnique française (GLAMF), la Grande loge traditionnelle symbolique opéra (GLTSO) ou la LNF, ne concerne que très marginalement les femmes. Ceci posé, pour le reste de l’échelle, on constate que l’option la plus spiritualiste (n° 3) regroupe à elle seule la moitié des effectifs féminins et que la moins spiritualiste ( n° 1), portée par la pratique du rite français, reste très minoritaire. Cette minorité, surtout depuis le réveil des ordres de sagesse (dénomination désormais partagée pour désigner les hauts grades du rite français), semble cependant relativement unie par delà les obédiences, alors que les autres sensibilités paraissent avancer en parallèles classiques, ne se rejoignant pas.

Quelle évolution prévisible ?

S’il est peu probable que les deux catégories centrales (n° 2 et 3) que nous avons définies et que l'on peut dire spiritualistes, connaissent des bouleversements d’équilibre, on peut en revanche, sans certitude aucune, en attendre dans les deux autres, sociétale et traditionaliste.

Dans le camp des tenants d'une absence de référence transcendante, de l’immanence dominante, du rite français hérité de Modernes et modernisé, c’est évidemment l’évolution du Grand orient de France dans les prochaines années qui peut modifier des équilibres qui ont commencé à frémir, non seulement avec l’augmentation probable du nombre de maçonnes dans ses rangs, mais dans un second temps, une progressive "mixisation" de l’obédience, du sol au plafond, laquelle est aujourd’hui loin de pouvoir être annoncée. Elle ne pourrait l'être que si une masse critique de femmes existait un jour rue Cadet. Le basculement pourrait se produire le jour où l’effectif féminin du Grand orient se situerait autour de 15 000 personnes, soit à la fois le quart de l’ensemble et la constitution du principal groupe maçonnique féminin de France. Ce jour-là, et peut-être avant, il est possible que d’autres structures se vident en partie ou se transforment. Sans proposer ici d’univers fictionnel, posons seulement que la force d’attirance serait plus grande pour certaines et certains, mais qu’elle pourrait aussi en pousser d’autres à résister en creusant leur différence, que ce soit en matière de choix sexué ou idéologique.

Pour la sphère de la maçonnerie dite « régulière » ou post-régulière, nonobstant l’évolution du feuilleton organisationnel qui se poursuit entre la GLNF et les groupes qui en sont issus, on a pu constater que certains fruits de l’éclatement s’étaient ouverts à la mixité. Or, si les femmes sont quasiment absentes de cet univers dit « régulier », on peut penser que c’est davantage par la fermeture qui leur a toujours été opposée, plutôt que par un véritable choix. En effet, si tant est que l’on puisse appliquer à la maçonnerie des données sociales de cadrage, la variable de sexe est aujourd’hui en France devenue inopérante en termes de choix philosophiques ou politiques. En un mot, les femmes sont aussi croyantes, aussi athées que les hommes.

Cette considération nous amène à une rapide prise en compte du paysage religieux, marqué par la déshérence dans les catégories sociales majoritairement touchées par la maçonnerie française de la croyance et de la pratique religieuse, phénomène accentué chez les moins de soixante ans (Une Europe sans religion dans un monde religieux, Le Cerf, 2013). Face à ce recul sans rémission, l’athéisme progresse régulièrement, mais il est loin de combler le vide installé par le véritable écroulement du système religieux encore dominant il y a un demi siècle. Dans ce vide, viennent nicher toutes les formes variées d’un spiritualisme en partie post-religieux. On peut donc, dans ce cadre, faire l’hypothèse que la spiritualisation actuelle de la Grande loge de France, comme la prolifération ici où là de rites exotiques, répond à une sorte de nécessité. En revanche, les « réguliers » de la GLNF, et ceux de la GLAMF, semblables sur cet aspect, ressortissent davantage à une croyance à l’ancienne. De ces deux options, les femmes sont absentes. Mais tout ou partie de ce courant croyant ou méta-croyant viendrait-il à s’ouvrir, fût-ce partiellement, au-delà des frémissements apparus dans le Sud du pays, on pourrait voir des femmes « régularisées », même s’il elles n’étaient pas « reconnues » par la Reine d’Angleterre. Il resterait à la GLNF ou à la GL-AMF, pour pallier ce décalage, à créer à leur côté une obédience féminine.

Pour autant, si le taux de féminisation devait n’avancer que dans la même proportion que ce qui s’est produit dans les cinq dernières années, il faudrait attendre 2040 pour que les maçonnes constituent un quart de la maçonnerie française. La franc-maçonnerie, pour ce qui concerne ses gros bataillons, témoignera donc longtemps de son aspect rétif à l’émancipation des femmes, déjà acquise, jamais acquise. Les féministes, quels que soient leur sexe et leur genre, qui sont sorti(e)s de la marge dans bien des sphères de la société devront s’habituer à rester minoritaires chez les enfants de la Veuve et en leur sein, les différentialistes devront admettre que les mixitaires ont gagné la partie...

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