Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Frustration est une revue politique trimestrielle, « hostile aux élites et à leurs chiens de garde ».
Il faut d’abord en comprendre le titre particulièrement peu séduisant. Car, pour celles et ceux qui n’ont plus vingt ans, Les Frustrés de Claire Bretécher, à partir de 1975, étaient plus risibles qu’enviables. Mais la frustration dont il est question ici, relevée par d’élégantes couvertures au design impeccable, a un autre sens, c’est « Un sentiment mêlé d’aversion et d’impuissance face à l’injustice sous toutes ses formes. Un dégoût grandissant devant toutes les énergies gaspillées dans le favoritisme, la corruption, l’élitisme et le mandarinat, dont nous découvrions chaque jour l’étendue. Une exaspération face aux obstacles toujours plus nombreux pour concrétiser et partager notre révolte. Nous cherchions une voix claire et simple pour exprimer l’insatisfaction qui nous rongeait ». La « frustration » est donc celle de « vivre dans une société qui promet la prospérité alors qu’elle creuse les inégalités, qui exalte l’égalité alors qu’elle favorise ceux qui ont déjà tout ». Cette frustration-là ressemble à de l’indignation. Les auteurs de la revue auraient donc pu accepter la filiation avec le Indignez-vous ! (Éditions Indigène, 2010) de Stéphane Hessel... si ce dernier n’avait pas soutenu Martine Aubry lors de l’élection primaire socialiste de 2011.
Car c’est la deuxième caractéristique de la ligne de Frustration, son seul mot d’ordre est d'« être contre les élites et pour les gens ». À ce titre, l’article « La preuve que nous ne sommes pas en démocratie » (n°4) dresse un état des lieux résumé par cette phrase : « La classe politique ne défend pas les intérêts du peuple parce qu’elle fait partie de la grande bourgeoisie et qu’elle défend les intérêts de la classe qui la porte au pouvoir ».
La troisième caractéristique est la revendication d’une indépendance complète vis-à-vis des partis politiques, syndicats et autres mouvements. Frustration se revendique comme un projet issu de citoyens, les articles émanent donc de rédacteurs en collaboration avec un groupe et sont attribués à un « collectif », les contributeurs restant anonymes.
Bien sûr, on peut trouver quelque peu angélique, systématique voire démagogique l’opposition radicale entre les méchantes élites et les bonnes gens. Bien sûr on peut regretter l’absence de nuances qui nuit à la démonstration. Bien sûr, on peut douter du côté « spontané » quand on retombe, immanquablement, au fil des lectures, sur la vulgate marxiste. Bien sûr on peut craindre de sortir de la lecture de Frustration avec une paranoïa aggravée et le sentiment que les puissants, qu’ils soient politiques ou économiques, complotent tous contre nous. Mais la revue tient la plupart de ses promesses : elle est « énervée mais argumentée, rigoureuse et lisible ». Elle source ses citations comme ses chiffres et, surtout, elle s’essaie à présenter d’autres voies politiques, des solutions à ce qu’elle dénonce.
Au fil de la lecture de Frustration, c’est alors tout un projet qui se construit. Un projet qui est apparenté à ces nouveaux modes de protestation, ceux qui refusent de passer par les médiations classiques, politique ou syndicale, pour tenter de reprendre en mains leur destin et retrouver leur capacité d’agir. Un projet qui se revendique de la démocratie contre les élites... républicaines.