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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Les Élites qu’on mérite : celles qui ne lisent pas

Les Élites qu’on mérite : celles qui ne lisent pas

Julien Vercel

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, ne lit pas de livres : « J’avoue sans aucun problème que je n’ai pas du tout le temps de lire depuis deux ans » (Canal+, 26 octobre 2014). On appréciera le « sans problème » qui prouve à quel point la ministre a évacué tout complexe intellectuel. Adeline Baldacchino, issue de la promotion 2007-2009 de l’École nationale d’administration (ENA), le confirme : « À l’ENA, pour commencer, on ne lit pas. Je ne dis pas seulement que ni littérature, ni philosophie n’ont la moindre place dans la maquette des cours, je dis aussi qu’on ne lit pas. Jamais je n’ai moins parlé de livres que là » (La Ferme des énarques, Michalon, 2015).

Les élites se contenteraient donc de notes administratives de moins de 3 pages ? Des fiches puisées dans les manuels de culture générale ? Des éléments de langage des agences de communication ? Des articles de journaux ne faisant que recopier les dépêches de l’Agence France Presse (AFP) ? Ou des 140 caractères de Twitter ? Mais, si le monde est devenu plus complexe et multipolaire, n’y-a-t-il pas un danger à ce que la pensée de nos élites s’élabore à partir de matériaux intellectuels simplifiés ou de secondes mains ? Car je n’arrive pas à m’ôter de l’esprit que ce sont par des lectures prenant le temps d’exposer tous les détails d’une pensée ou d’une esthétique que nous parvenons à interroger et comprendre le monde, à élaborer un discours à soumettre, ensuite, au débat des citoyens, bref à faire de la politique en démocratie.

Plus tard, devant le « scandale » médiatique provoqué par ses déclarations, Fleur Pellerin a tenté un rétropédale : « Je suis une grande lectrice et j’ai dit que je lisais moins. Mais je lis encore beaucoup, beaucoup moins que ce que je souhaiterais ». Incorrigible, elle a aussi tenu à se justifier : « Un ministre, en 2014 ou en 2015, n’est pas quelqu’un qui est payé pour lire des livres chez soi. C’est vrai que c’est important, mais je pense que ce que les Français, les auteurs et les artistes attendent de moi, c’est que je défende leurs intérêts » (France Info, 11 décembre 2014). Il y a tout dans cette citation : la confusion entre la ministre dans son bureau qui est certes tenue par des lectures directement utiles et techniques et la citoyenne « chez soi » qui refuse l’aspiration à l’idéal des « Humanités ». Il y a aussi la confession de la captation du ministère au profit des intérêts particuliers des artistes et des auteurs cachés dans « l’intérêt général » des Français…

Donc les élites ne lisent pas en France. Mais alors qui lit ? Est-ce que le « peuple » fait mieux ? L’enquête Pratiques culturelles, 1973-2008, dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales, réalisée par Olivier Donnat avec la collaboration de Florence Lévy, est une aide précieuse pour tenter de répondre. Et là, il faut se rendre à l’évidence : le mouvement est général. La culture des écrans tend à remplacer la culture des livres chez les plus de 15 ans, même si les livres, en tant qu’objets, sont plus présents dans les maisons et que la fréquentation des bibliothèques a progressé ! La proportion de forts lecteurs (20 livres et plus par an) a régulièrement fléchi dans toutes les catégories sociales, mais elle s’est carrément traduite par des abandons dans les populations où le livre était le moins implanté ou parmi les moins diplômés. Elle a également fléchi en particulier chez les hommes : le nombre de ceux qui ont lu au moins un livre par an est ainsi devenu inférieur à celui des femmes dès les années 1980…

Certes il faut nuancer, la baisse des livres lus ne signifie pas la baisse de la lecture puisque les écrans peuvent prendre le relai. Quoi qu’il en soit, « les lecteurs de 2008 lisent en moyenne 5 livres de moins par an que leurs homologues de 1973 » et « les femmes devancent aujourd’hui les hommes pour toutes les activités en rapport avec le livre », notamment grâce à des habitudes de lecture prises dans la jeunesse, par les écolières, les collégiennes et les lycéennes, quelle que soit leur classe sociale.

Une société démocratique peut-elle se passer de lecteurs de livres ? Voilà une question qui pourrait être soumise à l’étude des loges et d'abord, bien sûr, aux loges strictement masculines.

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A
Plus personne ne lit, ou presque, même les maçonnes et les maçons.<br /> L'électeur et le lecteur, autre question à l'étude...
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