Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Après la Norvège en 1972 et en 1992, l’Islande a retiré, le 12 mars 2015, sa candidature à l’Union européenne (UE). Quant au Royaume-Uni, David Cameron a dû promettre un referendum sur le maintien ou la sortie de l’UE. Il ne s’agit pas seulement de manifestations d’un « esprit insulaire », car d’autres forces dans des pays plus continentaux militent pour la sortie de l’UE.
Il faut dire que la crise de la zone euro, la persistance du chômage de masse, la montée de partis d’extrême-droite et l’absence de leadership ne rendent pas le projet européen particulièrement attractif. Plus profondément, l’Europe souffre d’un défaut d’énonciation et d’une indétermination qui empêchent l’émergence d’une véritable citoyenneté. Parce que l’Europe s’est d’abord construite sur l’extension des droits des individus au détriment de ceux des citoyens. Parce que les clauses d’opt out et les diverses négociations particulières construisent une Europe à géométrie plus que variable où l’unité de l’ensemble est de plus en plus difficile à imaginer en dehors d’un « grand marché ». Mais aussi parce que le processus européen a entretenu ce que Pierre Manent nomme « une incertitude sur la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, ou même un refus de poser la question de la frontière entre l’intérieur et l’extérieur ».
Le préambule du traité sur l’UE l’énonce, à ce titre, explicitement puisqu’il se fixe notamment comme objectif : « une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe ». Mais ce sont les atermoiements de la candidature de la Turquie qui illustrent le plus parfaitement les indéterminations qui ruinent le projet européen. Indétermination de ses frontières, de sa population et de ce que ses membres veulent mettre en commun. Pas étonnant donc que la mobilisation des citoyens oscille entre des taux d’abstention aux élections européennes fortement élevés (56% en France en 2014, mais jusqu’à 87% en Slovaquie !), un vote élitiste (52% des diplômés français de l’enseignement supérieur sont allés voter en 2014) et un vote protestataire (le Front national a obtenu 25,1% des suffrages en France en 2014), en fonction de l’intérêt accepté ou non de voir s’étendre les droits d’individus et s’éteindre les droits de citoyens.
L’Europe est pourtant un enjeu majeur de société. Car les néolibéraux s’accommodent fort bien de l’indétermination actuelle. Ils se contentent volontiers d’un projet européen qui prend en charge la casse sociale en cas de crise, qui mutualise les pertes, privatise les bénéfices et veille à l’état de concurrence de tous contre tous, un projet européen limité à un grand marché et sans cesse dilué grâce à l’adhésion de nouveaux membres. Et ils voient d’un œil bienveillant l’extension de la société des individus contre la société des citoyens… dans la mesure où l’individu n’a pas encore développé les moyens de se défendre face à l’extension sans fin du marché à tous les secteurs de la vie.