Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
On peut s’attendre à la publication de centaines de livres et d’articles pour marquer en la prochaine année 2017 à la fois le centenaire de la Révolution bolchévique (1917) et le tricentenaire de la franc-maçonnerie spéculative en Angleterre (1717).
Gageons qu’il y en aura bien moins pour commenter, autour de 2023-2024, la fin - nous disons bien la fin - du catholicisme français, en tant qu’il est, comme nul n’en ignore, spécifiquement structuré autour d’un clergé.
L’antienne des postmodernes sur la fin des grands discours se vérifie aujourd’hui par la déshérence des appareils qui les portaient et, par là-même de leur influence, dans une chute qui fait que l'on atteint dès aujourd'hui un point de non retour.
Que reste-il du communisme, un siècle après les évènements russes qui ébranlèrent le monde ? La sinistre Corée du Nord ? Question à l’étude des loges qui ne s’interdissent pas de parler du réel.
Que reste-t-il de la maçonnerie « régulière » qui comptait en 1950 environ sept millions de membres et en dénombre aujourd’hui moins de trois millions, régressant d’année en année dans le monde anglo-saxon où elle est née ? Pourquoi ne se maintient-elle qu'en dehors de cet univers culturel d'origine ? Questions à l’étude des loges qui sont inscrites dans ce paysage et n’ont pas choisi de se mettre la tête dans le sable.
La Mort annoncée du clergé français
Quant à la déshérence du catholicisme français, nous voudrions la dater, au double sens de la préciser temporellement et de prendre date, puis regarder, très rapidement, quelles en seront les principales conséquences. Question qui ne sera pas mise à l’étude des loges, car elle désespère ce qui reste de catholiques culturels, lesquels se trouvent privés d’assise . Elle déplait aussi souverainement aux anticléricaux à qui il manque désormais un ennemi. Quant aux autres, les plus nombreux, il semble que l’indifférence montante envers les religions ait pour conséquence de ne pas les inquiéter face à la disparition d'un catholicisme qui, ayant imprégné l’histoire, aura pourtant marqué la langue, le calendrier, aussi bien que la toponymie.
Le Figaro, l’un des rares journaux à revenir fréquemment sur cette question qui touche directement une partie de son lectorat, indiquait dans son édition du 2 juillet 2015 que le nombre de prêtres, cette année-là, il y donc deux ans, était descendu en France à 15 000 (dont environ 11 000 diocésains et 4 000 religieux). Autres éléments majeurs, la moitié de cette population avait plus de 75 ans, et le renouvellement s’avérait minimal, avec 120 ordinations cette année là (62 diocésains et 58 religieux).
L’article prévoyait 6 000 prêtres pour 2020. Comment cette prévision a-t-elle été établie ? Par un simple calcul arithmétique, basé sur l’aveu de plusieurs évêques qui avaient relevé un rapport de 12 inhumations de prêtres pour une ordination.
Poursuivons cette logique. Nous sommes donc en présence d’une perte annuelle d’environ 12 fois les 120 arrivants, soit 1 440 décès, à quoi il faut ajouter quelques dizaines de départs volontaires ou contraints, soit 1 500, ce qui donne, pour cette entrée de 120, un solde négatif de 1 380 prêtres par an. Cela permet de prévoir, plus précisément que le Figaro:
13 660 prêtres en 2016, 12380 en 2017, 10 990 en 2018, 9 520 en 2019, 81 40 en 2020, 6 800 en 2021, 5 460 en 2022 ; 4 100 pour 2023 ; 2 740 pour 2024, 1 400 pour 2025 et un 0 théorique en 2026, soit bien avant cette date, une véritable armée mexicaine, si l'effectif de 123 évêques et 9 cardinaux reste le même. Si son éminence, Mgr André Vingt-Trois est toujours archevêque de Paris, on pourra croire à un signe du destin qui n’aurait pas déplu à Léon Bloy. En 2023, il y aurait en effet environ 3 000 prêtres diocésains et un millier de religieux, dont la moitié auront un âge canonique
Sauf intervention massive et tardive de la Providence, c’en sera donc fini du clergé catholique français. Un tel effondrement relativise les actuelles barbarinades, aussi sordide que soit l’action délétère des prêtres pédophiles dont certains glosent sur le pourcentage qu’ils peuvent représenter au sein du personnel religieux masculin. Cependant, dans ce registre, la multiplication des affaires qui ont mis en faillite le diocèse de Boston (illustré par Spotlight de Tom McCarthy, 2016) ne peut que précipiter la déroute.
Si une telle prévision, à savoir l’extinction du clergé catholique français vers 2024 que dans une première approche nous avions posée vers 2040, devait être mise en doute, l’échéance en est suffisamment proche pour que rendez-vous soit pris dans sept ans et plus, si la grande faucheuse (femelle du Gadlu) ne se présente pas entre temps à l’auteur de ces lignes.
Il va de soi que la question du clergé ne constitue pas le seul indicateur de ce repli massif et définitif. Mais pour ce qui est des croyances, comme des pratiques, les études montrent également une décrue constante du rapport des Français au catholicisme. Il restera cependant, vers 2023-2024, quelque quinze à vingt millions de Français à se dire catholiques sans pouvoir non seulement pratiquer leur religion, ni même trouver de point d’ancrage.
Les Conséquences de l’extinction du clergé
Dans la mesure où nombre de prêtres sont requis par une tache administrative dans les diocèses ou par un travail de formateurs dans les séminaires, se trouvant donc dans l’impossibilité de s’occuper d’une des 4 000 paroisses françaises, pourtant bien élargies après plusieurs mouvements de regroupement (il existe plus de 144 000 églises catholiques sur le territoire français ), il est à attendre, dès les années 2019-2020, une impossibilité technique pour le catholicisme national d’assurer les cérémonies dans des pans entiers du territoire français: messes, baptêmes, communions, mariages et, plus douloureux, obsèques. La possibilité, qui n’est pas à l’ordre du jour, de déléguer les sacrements à des diacres, hommes ou femmes, ne ferait que reculer l’échéance, puisque' ils ne sont en effet qu’environ 1 500 en France et sont déjà bien occupés.
Quel sera le catholicisme perdurant, ou post-catholicisme, après la disparition du dernier des Mohicans ? Verra t-on l’inscription au patrimoine culturel national du dernier monastère habité par quelques religieux survivants ?
Il se confirmera la création de facto d’un protestantisme latin diffus, privé de clergé, très divisé, politiquement situé de l’extrême gauche à l’extrême droite, allant philosophiquement d’un quasi rationalisme à une croyance ne varietur, nonobstant la présence de quelques vénérables et très âgées religieuses qui ne devraient, statistiquement disparaître du paysage que quelques années plus tard. Elles sont aujourd’hui environ 22 000, dont les trois quarts sont apostoliques, hospitalières ou enseignantes et un quart moniales. Quant aux moines non prêtres, pour ne pas les oublier, ils doit en rester environ 3.000.
Autre conséquence, la principale à nos yeux, la coexistence à venir d'un vide métaphysique et d'un trop plein religieux. Que l’on se place dans une logique vertueuse interculturelle ou dans celle, mortifère, du « Choc des civilisations », une partie du monde occidental, dont la France, est une tête de pont dans cet aspect post-religieux sera en effet écartée aussi bien du dialogue, que de l'affrontement interreligieux. Nous aurons alors une sorte de face à face d’un passé religieux et d’un présent qui ne le sera plus.
On peut aussi penser que l’appel à l’absolu, comme le besoin de radicalité métaphysique, dont on fera l'hypothèse qu'ils dépassent le seul champ religieux, ne pourront plus s’exercer dans le cadre des imaginaires domestiques disponibles, en ce que ceux-ci seront éteints. L'existence de djihadistes occidentaux issus d’une culture non-musulmane en est peut-être l’une des premières manifestations. Mais il y aura bien d’autres conséquences, sur un plan économique par exemple. Qui gèrera l’immense patrimoine, notamment immobilier, de l’Église ? Quel tourisme spiritualiste se mettra-t-il en place pour occuper les lieux religieux vides d’occupants qu’on ne voudra pas raser ou reconvertir en résidences de luxe ?
Ayant tiré un trait sur l’Europe occidentale, y compris, sous peu, à deux encablures de Rome, le Vatican s’occupera de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique du sud, y compris aux Etats-Unis, au sud de la ligne de partage de la guerre de sécession, là où des blancs protestants se raidissent déjà, de Trump aux grandes loges du Tennessee ou de Géorgie, contre ce qu’ils considèrent comme un double ennemi, le rationalisme athée qui leur vient du nord et le latinisation catholique qui les pousse depuis le sud, sans parler du djihadistes islamique qui ne les touches pas encore.
Néo-protestantisme à tendance évangéliste et islamisme vont donc se partager, dans la France des années 2020, la gestion religieuse des populations défavorisées, souvent issues de l’immigration et pour lesquelles l’idéal occidental constitue d’ores et déjà à la fois un rêve et un cauchemar. Le catholicisme occidental, chassé par la rationalité après plusieurs siècles de combat, sera, sauf traces qui seront objet de patrimoine culturel, sorti du paysage. Le maintien d’un judaïsme séfarade, dans une logique également post-coloniale contrastera avec une extinction progressive de son pendant ashkénaze, dilué dans la modernité.
Le protestantisme, sans doute parce qu’il est minoritaire, semble mieux résister que le catholicisme, bien qu’il continue lui aussi à se fondre dans une société tolérante qui ne le stigmatise plus. Les calvinistes et luthériens comptent environ 1 600 pasteurs, dont 200 femmes. Les évangéliques « officiels », membres du Conseil national des évangéliques de France, 2 000. Mais cela ne concerne qu’environ un million de Français. Le protestantisme très démonstratif des évangélistes africains est plus puissant.
Tout ceci ne relève pas d’un futur lointain, mais du presque présent, dans la mesure où l’influence d’un clergé réduit comme peau de chagrin est déjà fort limitée et que ce qui va le remplacer est déjà bien en place. La grande inconnue sera la réponse qu’apporteront les toujours catholiques quand ils s’apercevront, par exemple, qu’ils ne peuvent enterrer leurs proches religieusement. Y renonceront-ils où procéderons-t-ils à des pratiques pas très catholiques ?