Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Isabel Hernandez-Fernandez (traduction Yolande Bacot)
3/ Vers l’indépendance
Les femmes maçonnes espagnoles ne restèrent pas enfermées dans la seule forme de loges d’adoption. Bien qu'initiées au Rite d'adoption, elles demeurèrent au sein de loges masculines, mélangées avec le reste de membres actifs ou séparées en chambres ou colonnes d'adoption qui ne parvinrent jamais à se transformer en loges féminines.
Par ailleurs, dans beaucoup de cas et bien que cela soit contraire aux règlements, les femmes maçonnes firent partie des membres actifs des ateliers qui, masculins par définition réglementaire, devinrent des loges mixtes dans les faits. Le poids spécifique qu'eurent lesdites femmes dans leurs ateliers fut très variable. Dans certains cas, elles firent partie uniquement des effectifs, tandis que dans d'autres, elles parvinrent à occuper des charges et parfois à obtenir des grades qui leur étaient pourtant interdits en fonction des statuts.
En définitive, la réalité maçonnique féminine en Espagne surprend par la diversité de ses situations et par son efflorescence dans le contexte aride de la légalité maçonnique.
Les données sur la majeure partie de ces femmes maçonnes sont tellement faibles qu'elles rendent difficiles une photographie exacte de leur profil. Beaucoup de documents ont été détruits devant l'avancée des troupes franquistes, par peur des représailles.
En dépit de toutes ses difficultés, il a été possible de dresser un profil sociologique des femmes qui constituèrent les loges espagnoles entre 1868 et 1939, période au cours de laquelle la maçonnerie espagnole connut un grand développement et qui a laissé, par conséquent, des traces de ses activités. Durant ce temps, le groupe maçonnique féminin atteignit le chiffre de 547 femmes maçonnes et de 65 « lowetones » (jeunes filles adoptées par la maçonnerie), ce qui est très peu en comparaison des effectifs masculins. Mais si l'on tient compte de la faible participation des femmes à la vie publique, ce résultat apparaît beaucoup plus significatif.
La première étape va de 1870 à 1900, elle est marquée par la prolifération des obédiences dans un premier temps, le Grand orient espagnol jouant un rôle important à partir de 1889 alors qu'il était dirigé par Miguel Morayta. Dans ces années, les femmes étaient 400. Parmi elles, il est possible d’indiquer la profession pour 227 sœurs. Les femmes au foyer dominent avec 93 sœurs, puis viennent les professions intellectuelles (15 artistes ou actrices ; 15 enseignantes et 6 écrivaines). Les domestiques sont également 6, il s'agit des six femmes initiées à la loge Reina Regente de Guyama (Porto Rico) à propos desquelles José Antonio Ayal signale comme possible qu'elles aient été les employées de ces dames qui formèrent la loge d'adoption. Enfin, il faut noter l’originalité de la présence d’une maçonne agricultrice et d’une autre « industrielle », compte tenu des obstacles légaux opposés aux femmes pour la possession de biens.
La seconde étape, comprise entre 1900 et 1930, est caractérisée par la crise de la fin du siècle comme par la dictature de Primo de Rivera : les femmes jouissent de moins de liberté, ce qui réduit leur nombre à 105. Parmi elles, seules 51 femmes ont des professions identifiées. Les femmes au foyer sont 29 et demeurent les plus nombreuses. Les professions intellectuelles suivent : 8 enseignantes ; 3 écrivaines et 3 artistes. Le profil des sœurs de cette époque est à peine différent de la précédente, la tendance est la même.
La troisième étape, beaucoup moins longue, va de 1930 à 1939, soit la Seconde République et la Guerre civile. Elle est marquée par une croissance importante de la maçonnerie féminine. Cependant, en raison de la destruction des archives, ne sont restées que des données concernant 83 femmes initiées. Le nombre de maçonnes dont les professions sont connues est trop faible pour permettre une analyse.
Malgré des sources partielles et incomplètes (les femmes figurent souvent dans les recensements des loges, jamais dans les comptes-rendus de réunion !) et des règlements maçonniques qui imposaient invariablement la ségrégation des femmes maçonnes en loges d'adoption, il est possible de témoigner d’une réalité plus diverse avec :
-201 femmes en loges d'adoption ;
-137 femmes membres de chambres ou colonnes d'adoption au sein de loges régulières ;
-78 femmes appartenaient à des loges mixtes.
-9 femmes sont enregistrées sur la colonne d'honneur des recensements ;
-61 femmes furent « lowestones ».
Enfin, certaines femmes occupèrent des offices : Dolores Arniches appartenait, en 1893, à la loge Electricista n°85 de Murcie, où elle fut deuxième surveillante ; Ana Carvia fut secrétaire adjointe dans, la loge masculine Regeneraciόn de Cadix ; Antonia Fernández de la loge Osiris de Séville remplit, en 1892, l'office d'hospitalière et, en 1894, celui d'oratrice ; Mathilde Fuentes fut oratrice dans la loge Amor et Ciencia de Murcie en 1892 après avoir pris une part très active dans les travaux préparatoires d'installation de son propre atelier.
À suivre