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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Sur « Correspondances maçonniques 1777-1783. Franc-maçonnerie, Illuminisme, Rose-Croix d’Or, Stricte Observance » de François Labbé

Sur « Correspondances maçonniques 1777-1783. Franc-maçonnerie, Illuminisme, Rose-Croix d’Or, Stricte Observance » de François Labbé

Yonnel Ghernaouti

Cet ouvrage (Honoré Champion, 2016, 352 pages, 70€) est remarquable. Et cela à plus d’un titre ! D’abord, en nous faisant connaître la vie et l’œuvre d’un franc-maçon peu connu, Claude Le Bauld de Nans (1735-1791). Ensuite, en mettant dans son contexte historique ces « Correspondances maçonniques », François Labbé nous fait aussi mieux connaître d’autres sociétés secrètes ou courants de pensée, comme l’Illuminisme, les Rose-Croix d’Or, ou bien encore la Stricte Observance dite Templière.

Puis, si la lettre, petit rectangle de papier ordinaire, permet au XVIIIe siècle de devenir l’âge d’or de l’épistolaire, c’est grâce à elle que François Labbé se livre à une étude très sérieuse et des plus précieuses. Avec l’auteur, nous entrons de plain-pied dans la vie maçonnique du siècle des Lumières. Voire, nous la partageons. En quelque sorte, nous devenons, à la lecture, des compagnons de route. Ensuite, il nous fait prendre conscience de l’universalisme de la maçonnerie en Europe, en général, et en Allemagne, en particulier.

Si pendant tout le XVIIIe siècle, le roman épistolaire connaît un remarquable essor et rencontre l’adhésion du public, l’usage de la lettre fonctionne comme un puissant « effet de réel ». Ce livre décrypte les échanges entre un Vénérable maître, celui de la loge Saint Charles de Mannheim, l’orateur de la Royale York de Berlin et deux frères membres de la célèbre société connue sous le nom des Illuminés de Bavière, fondée le 1er mai 1776 par Adam Weishaupt (1748-1830), théologien et essayiste allemand.

La préface nous instruit quant à la vision de l’auteur sur la franc-maçonnerie dans la première moitié du XVIIIe siècle et permet de « l’appréhender dans sa dimension européenne ». François Labbé s’attache à décrire le contexte. Il nous détaille les principales étapes de la vie de l’un des correspondants Claude Le Bauld de Nans (1735-1791), comédien de profession. De sa vie maçonnique, nous savons qu’il a été initié à Parme en novembre 1755. Il semble avoir été le fondateur de la loge Saint-Charles de l’Union à Mannheim, en 1756. Il en est le Maître de chaire de 1766 à 1773, Orateur de 1766 à 1771 et Vénérable jusqu’en 1774 au moins. Il poursuit sa carrière maçonnique à la loge berlinoise Royal York de l’Amitié, où il est Orateur (1776-1777), puis Vénérable à partir de 1788. Il est l’auteur de Recueil de discours prononcés en différentes époques solennelles, dans la très ancienne loge française La Royale d’York de l’Amitié (Berlin, 1781) et Le Code maçon ou statuts et règlement tant généraux que particuliers… publié en 1789.

Quant à Jacques Drouin, l’autre correspondant, le fichier Bossu de la Bibliothèque nationale de France n’en fait nullement état. L’imposant travail de François Labbé est de nous le faire connaître. Né à Turin en 1740, il exerce l’art dentaire à la cour de l’électeur Charles Théodore. Après le départ pour Berlin de Claude Le Bauld de Nans, il s’occupe de la loge de Mannheim. Il devient aussi « conseiller de commerce » et bibliothécaire. L’auteur nous le décrit comme « intéressé par l’ésotérisme et la quête spirituelle ».

Deux autres maçons, fort peu connus, prennent part aux correspondances. John-Peter Delagoanère (?-1802), fonctionnaire prussien, a été Vénérable Maître de la Loge Royal d’York. Il la transforma, en juin 1798, en Grande loge et en devint le premier Grand maître. Quant au marquis Diomedes Costanzo, nous savons qu’il a, pour les Illuminés, réalisé plusieurs missions, notamment auprès de la loge francfortoise l'Union, mais aussi à Berlin. François Labbé nous peint les diverses sociétés secrètes, comme les Illuminés de Bavière, association qui ne se réclame nullement de la franc-maçonnerie, à structure pyramidale, et aux mains de Adam Weishaupt.

Puis, François Labbé poursuit avec la Stricte Observance qui fut constituée, de 1751 à 1755, sous l’impulsion de Karl Gotthelf. Ce Baron von Hund und Altengrotkau (1722-1776) aurait été reçu dans les trois premiers grades le 20 mars 1742, à Francfort-sur-le-Main.

Enfin, la Royale York de l'Amitié fut fondée en 1752 par des Français à Berlin, devenue en 1761, par fusion avec la loge « Aux Trois Colombes », « L'Amitié aux Trois Colombes », puis en 1765 la « Royale York de l'Amitié », après avoir initié le prince Edward Augustus (1739-1767), duc d'York et d'Albany, frère de George III (1738-1820). Elle se sépare ensuite de la loge « Aux Trois Globes » pour devenir à son tour loge mère. Elle avait été affiliée à la Grande loge d'Angleterre le 24 juin 1767 sous le n°330.

L’auteur nous fait aussi découvrir l'Ordre paramaçonnique des Rose-Croix d'Or d'Ancien Système qui se développa à travers la franc-maçonnerie allemande. La création de l'Ordre correspond avec l'engouement des hauts grades maçonniques. C'est donc aux environs de 1750, et plus probablement en 1757, que l'Ordre fut créé sur des bases d’un piétisme chrétien. La naissance de la franc-maçonnerie allemande vers les années 1738-1744 est moins bien connue en France que ne le sont notamment ses homologues, anglaise ou française.

L’auteur ne peut passer sous silence la Grande loge nationale des francs-maçons d’Allemagne de Zinnendorf. Celle-ci fut fondée en 1770 par Johann Wilhelm Ellenberg dit Zinnendorf (1731-1782), médecin et chef du service de santé de l’armée prussienne qui fut reçu en 1757 à la loge « Philadelphia aux Trois Bras en Or ».

C’est ensuite que François Labbé décrypte les correspondances maçonniques de 1777 à 1783. D’une manière générale, les correspondances tiennent une place essentielle dans la vie des loges au XVIIIe siècle. C’est bien ce que l’auteur veut nous faire comprendre et partager. Ces correspondances retracent toutes les structures de sociabilités de l’époque. Elles rendent comptent aussi de l’importance de la fraternité en Europe, dépassant ainsi largement le cadre du simple orient, et qui entretient l’espoir d’une réunion des francs-maçons sur toute la surface du globe.

Ces lettres nous détaillent finalement la vie d’une loge à cette époque. Comme le conseil donné de « se placer sous la protection d’un grand, voire d’un prince ». C’est aussi un moyen de demander « les patentes de constitutions », ou encore, rassurer les frères sur l’expédition des patentes et bijoux, les instructions concernant les cérémonies ou les commentaires de planches.

Avant de nous donner le texte originel, François Labbé explique et situe la lettre dans son contexte. Une lumineuse aide pour une meilleure compréhension. À la lecture de certaines, nous comprenons que les motivations de frères d’antan restent aussi celles des maçons de maintenant : redonner vie à une loge, avoir un loyer peu onéreux pour le local, trouver un plan de travail.

L’ouvrage s’enrichit d’extraits de lettres, de portraits ou d’autres documents, en noir et blanc, mais aussi d’encadrés fort judicieux, expliquant, par exemple, ce qu’est L’Elyseum, cette utopie des Illuminés américains ou encore les dates clés de la maçonnerie à Munich ou un propos sur le Convent de Wilhelmsbad.

François Labbé est né à Dinan, en 1948. Professeur agrégé et docteur ès lettres, il a enseigné en lycée, à l’université de Munster, de Mulhouse et Nouméa en Nouvelle-Calédonie (IUFM et Université). Il est actuellement guide bénévole dans un Château de Forêt Noire. À côté de ses livres, il a publié une quarantaine d’articles de recherche littéraire principalement sur le dix-huitième siècle, la franc-maçonnerie et le phénomène initiatique. Sur le plan littéraire, il est spécialiste des relations franco-allemandes (1750-1800). Nous lui devons, entre autres Un aventurier littéraire, Jean-Charles Laveaux alias De La Veaux ou Thibault de Laveaux (1749-1827) (Honoré Champion, 2015), Berlin, le Paris de l’Allemagne (Orizons universités, 2011), Le message maçonnique au XVIIIe siècle, contribution à l’histoire des idées (Dervy, 2006), Les constitutions d’Anderson (1742), texte traduit par Louis-François de La Tierce, ouvrage collectif, (Romillat, 2002), La Gazette Littéraire de Berlin (Honoré Champion, 2002 - L’Harmattan, 1999), J.-H.-F. Lamartelière, traducteur de Schiller (Peter Lang, 1990).

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J
Le Bauld de Nans est bien connu des amateurs de musique maçonnique : voir entre autres la page<br /> http://mvmm.org/c/docs/lebauld.html
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