Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Comme tant d’autres francs-maçons de l’époque, Jean-Émile Daruty de Grandpré (1839-1903) fut un élément du colonialisme européen, en l’occurrence franco-anglais, ayant vécu à l’Ile Maurice. C’est à Port-Louis qu’il publia en 1879-1800, non sans difficultés, eu égard à la faiblesse de ses moyens financiers, ses Recherches sur le rite écossais ancien et accepté.
À cette date, il existait quelques querelles de légitimité entre le Grand orient de France et le Suprême conseil qui dispensaient chacun de leur côté des hauts grades écossais. Daruty finit son existence comme membre actif et responsable délégué du Suprême conseil de son île. Adopté très jeune comme lowton en 1844, il s’affilia en 1861 au Grand orient, à la « Triple espérance », puis il passa au Suprême conseil en 1876, ne démissionnant du Grand orient que l’année suivante, celle qui vit la rupture entre les deux obédiences après le fameux convent qui donna congé de la rue Cadet au Grand architecte de l’univers.
Prenant prétexte de ce rapport de forces, Daruty va rechercher les sources les plus précises possibles pour documenter tout ce qui concerne les premières manifestations de la franc-maçonnerie en France et dans les colonies. Du coup, on trouvera dans son ouvrage un impressionnant détail des loges du XVIIIe siècle, de leur localisation et, souvent, de leurs responsables. Il en va de même pour les premières manifestations des hauts grades écossais avant l’unification du début du XIXe siècle, présentées avec une rigueur qui rattache Daruty à l’équipe très sélective de ceux qui ont préfiguré « l’école authentique », celle des historiens qui ont bien séparé l’histoire de la maçonnerie de sa mythologie. Dans une première partie, Daruty s’attaque à la période préhistorique, (Landmarks, anciens devoirs, mère-loge de Kilwinning, etc).
La préface d’Alain Bernheim, à la fois riche et confuse, comme à l’habitude (il s’agit de la reprise d’un hommage à Jean-Émile Daruty), insiste sur le fait que Daruty nous offre un nombre incalculable de références dans un livre qui, du reste, ne bénéficie pas d’une construction exemplaire, mais qui fourmille d’informations. Télètes avait publié ces pages, sans le texte de Bernheim en 1988, édition aujourd’hui épuisée, comme l'est celle de 2002. Cette nouvelle mouture ravira les dix-huitiémistes et ceux qui seraient curieux de savoir ce qui a existé en termes de franc-maçonnerie dans leur région d'origine ou d'adoption avant la Révolution.