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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

New Age, conversions et autres bricolages/ New Age, une impossible définition (1/2)

New Age, conversions et autres bricolages/ New Age, une impossible définition (1/2)

Jean-Loïc Le Quellec

Dès le début du XXe siècle, l’expression américaine New Age fut reprise et popularisée dans les milieux théosophiques par l’ésotériste britannique Alice Anne Bailey.

Elle est traduite tantôt par « nouvel âge », tantôt par « âge nouveau », mais le plus souvent conservée sous sa forme originale. Le New Age est difficile à définir, car ce terme recouvre une nébuleuse d’organisations, sectes et mouvements très divers, professant généralement que tout élément de l’Univers est divin et que le divin est partout ; que l’homme, faisant partie de Dieu, est lui-même divin et qu’il vit indéfiniment, par le principe de la réincarnation. Cette appellation de New Age fait allusion au prochain passage de l’ancien « âge des Poissons » –caractérisé par la violence, la quantification, le matérialisme, la superficialité– au « nouvel âge » du Verseau où régnera l’amour, où prédominera la qualité, où adviendra la libération de l’esprit, dans un nouvel âge d’or —si l’on en croit du moins l’une des premières théoriciennes de ce mouvement (1). L’annonce eschatologique de ce passage d’un âge à l’autre correspond à un changement de signe zodiacal du lever du soleil à l’équinoxe de printemps, par suite du phénomène de la précession des équinoxes, selon une idée déjà propagée en France par Paul Lecour via la revue Atlantis, fondée en 1927. En 1937, cet ésotériste publia sur ce sujet un livre liant l’avenir de l’humanité à l’avènement de l’« Ère du Verseau » -livre toujours réédité depuis (2).

Le mouvement syncrétique du New Age puise tant dans les publications de Carl-Gustav Jung (3) ou de Joseph Campbell (4) et de Wilhelm Reich que dans les mythologies orientales, et ses adeptes font leur miel tant des livres des ésotéristes que de l’astrologie, du chamanisme, du gnosticisme, du soufisme, du spiritisme, du reiki et d’idées inspirées de la physique quantique… entre autres sources. À l’aide des éléments ainsi empruntés, ils construisent collectivement une mythologie moderne visant à « réenchanter le monde » par une resacralisation de la nature et l’appel à un hypothétique « changement de paradigme scientifique » –l’avènement de ce dernier se faisant singulièrement attendre, bien qu’il ait été régulièrement annoncé depuis la publication de la prétendue « gnose de Princeton », dans les années 1970 (5).

Dans le but de se « reconnecter » à la nature, à soi-même et à la spiritualité, le mouvement New Age, aucunement organisé bien que largement exploité par certains éditeurs et marchands d’illusions, est un bon exemple d’actualisation permanente et de bricolage mythologique donnant lieu à une floraison de néorituels : « néochamanisme », « channeling » (sorte de spiritisme), « rebirth » (remémoration de l’instant de la naissance) et autre « analyse bioénergétique », s’inscrivent dans un vaste courant qui privilégie l’épanouissement individuel et le libre choix des adhésions personnelles au sein d’une sorte de supermarché mondial des croyances, tout en prétendant rompre délibérément avec toute forme de dogmatisme religieux ou de formalisation théologique. Le New Age est donc une ontologie « home made », une ontologie en kit, bricolée « à la maison » à partir d’éléments empruntés à diverses traditions, mais sans nécessiter l’affiliation à aucune d’entre elles en particulier. Dans cette perspective, les religions -au sens de « systèmes symboliques concernant la signification ultime de l’existence » (6)- ne sont plus considérées sous l’angle d’une « offre » à prendre ou à laisser en bloc (7), mais comme des répertoires de façons de voir et de techniques de développement personnel parmi lesquelles chacun est libre de faire ses choix pour répondre à une recherche de sens individuelle, personnalisée, sans adhésion d’ensemble à un dogme.

Ce type de quête spirituelle se caractérise plus par une démarche que par un contenu, et tend donc à dépasser largement le mouvement New Age stricto sensu et la croyance en l’avènement d’une « ère du Verseau ». On a pu parler à ce propos de « religions à la carte » (8), de « butinage religieux » (9), de « rites sur mesure » (10), de « marché spirituel » (11), voire de « supermarché spirituel » (12). Qu’un tel « marché » se popularise et soit des plus répandus, cela saute aux yeux de quiconque observe les panneaux d’affichage des magasins « bio », où se multiplient les annonces d’initiation au chamanisme (amérindien, hawaïen, etc.), au reiki ou à quantité d’« approches symboliques » et autres « techniques de développement personnel », telles que « naturothérapie », « chromothérapie », « géobiologie », « magie des cristaux », « astrologie », « mandalas », etc.

Notes

1. Marilyn Ferguson, The Aquarian Conspiracy: Personal and Social Transformation in the 1980s. J. P. Tarcher Inc. / Houghton Mifflin, 1980, traduction en français : Marilyn Ferguson, Les Enfants du Verseau : pour un nouveau paradigme. Traduit et adapté de l'américain par Guy Beney, Calmann-Lévy, 1981.

2. Nouvelles éditions en 1962 et 1971 à L’Omnium littéraire, en 1977, 1995, 2000 et 2010 chez Dervy. L’histoire du mouvement New Age a fait l’objet de nombreux travaux. Voir notamment Massimo Introvigne, Le New Age des origines à nos jours. Courants, mouvements, personnalités, (traduit de l’italien par Philippe Baillet), Dervy, 2005.

3. Sur l’incompétence chronique de Jung en matière de mythologie et de folklore, voir Jean-Loïc Le Quellec, Jung et les archétypes. Un mythe contemporain, Éditions Sciences humaines, 2013. Bien entendu, des auteurs jungiens ont tenté de déconnecter leur héros de ce qui leur est apparu comme de mauvaises interprétations de ses thèses. Ainsi, David Tracey, qui prend la défense de Jung et approche ce sujet dans une perspective jungienne, reconnaît néanmoins l’existence d’une influence réciproque entre Jung et le New Age (David Tacey, Jung and the New Age, Routledge, 2001).

4. Notamment Joseph Campbell, The Hero with a Thousand Faces, Pantheon Press, 1949 et maintenant par la Joseph Campbell Foundation.

5. Raymond Ruyer, La gnose de Princeton. Des savants à la recherche d’une religion, Fayard, 1978. Pour s’assurer un plus grand succès, Raymond Ruyer a fait croire que ce livre synthétisait des travaux universitaires américains de pointe, alors qu’il ne réunissait que ses propres idées.

6. Martin Geoffroy, « Pour une typologie du nouvel âge », Cahiers de recherche sociologique, N°33, 1999.

7. Françoise Champion, « La religion à l'épreuve des Nouveaux Mouvements Religieux », revue d’Ethnologie française, N°4, 2000.

8. Jean-Louis Schlegel, Religions à la carte, Fayard, 2012.

9. Edio Soares, Le butinage religieux : pratiques et pratiquants au Brésil, Karthala, 2009.

10. Jean-François Mayer, « Biens de salut et marché religieux dans le cultic milieu », Social Compass, N°53, mars 2006.

11. Hildegard Van Hove, « L’émergence d’un marché spirituel », Social Compass, N°46, juin 1999.

12. Françoise Champion, op. cit.

À suivre

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L
J'ai encore souvenance de la franche irritation de Raymond Abellio lors d'un congrès "Sciences et Astrologies", cela se passait au Palais des Congrès de Paris (27-28 avril 1985). Une manifestation de marchands de temple dira-t-il !
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A
Merci pour cette analyse et pour les références<br /> On attend la suite avec impatience.<br /> Il ne manque plus que Guénon et on sera dans l'imaginaire<br /> des post religieux qui constituent une partie de la maçonnerie.
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