Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Stéphane François
Il devient donc nécessaire de nous demander pourquoi ces thèmes occultistes ou « occultisants » réapparaissent de façon récurrente aussi importante et touchent autant ces tranches d’âges. Ces idées nouvelles se nourrissent de l’ancien, en se construisant à partir des brides du passé, transformant, combinant et assemblant des éléments que la tradition laisse à leur portée. C’est la célèbre notion de « bricolage » formulée en son temps par Claude Lévi-Strauss. En effet, la principale caractéristique des groupes et/ou personnes étudiés ici est le peu d’intérêt pour la notion de filiation, primordiale pourtant pour les sociétés occultistes « classiques »… Ces nouveaux venus sont donc dépourvus de culture profonde dans les domaines occultistes. Nous sommes plutôt en présence de pratiques « sauvages », c’est-à-dire hors du cadre normatif d’une société initiatique occultiste.
Ces milieux underground ne sont pas des mondes fermés sur eux-mêmes : il existe des va-et-vient permanents entre ceux-ci et les autres segments de la société. Les valeurs de l’une peuvent féconder une autre et revenir modifiées, fécondant en retour leur segment contre-culturel d’origine. Ainsi, il existe des passerelles assez larges entre les subcultures musicales, les avant-gardes artistiques, les mouvements occultistes, le monde des sexualités marginales, l’écologie radicale, les milieux anarchistes, etc. Cette proximité offre l’avantage d’accroître leur audience, limitée par définition. Nous pouvons même dire que nous sommes en présence d’une « nébuleuse des hétérodoxies », pour reprendre un concept forgé par Jacques Maître.
L’une des clés permettant la compréhension de cette volonté de rééchanter le monde par des spiritualités alternatives est à chercher dans la réapparition de valeurs archaïques et d’enracinements dynamiques au sein de nos sociétés. Cette résurgence irrationnelle s’opposerait, selon Michel Maffesoli, à la modernité, qui ne serait qu’une forme laïcisée de la réduction judéo-chrétienne et qui trouverait son aboutissement dans le rationalisme moderne. Il existerait donc une forme d’irrationalisme culturel qui se manifesterait par des pratiques culturelles persistantes depuis l’Antiquité. Ainsi, la mythologie, les légendes et le fantastique ouvrent à divers degrés de nouvelles portes laissant s’exprimer des forces anciennes magiques et païennes. En outre, les thèmes à connotations historiques y sont souvent archétypaux et les références appuyées à une mentalité païenne fréquentes : l’un des thèmes les plus souvent et les plus librement adaptés reste la Matière de Bretagne, c’est-à-dire le cycle arthurien qui inspirent un Moyen Âge flamboyant, épique, magique et païen.
La mythologie, les légendes, la féerie et le fantastique, dont l’attrait connaît un second souffle, ouvrent à divers degrés de nouvelles portes laissant s’exprimer des forces anciennes irrationnelles, magiques et païennes. Les différentes manifestations du sacré transparaissant dans ces milieux (cultes, pratiques cérémonielles, références à l’occultisme ou à la magie, etc.) peuvent être analysés comme une manifestation, comme une expérience du sacré faite par les individus. Ces cultures, et en premier lieu la bande dessinée fantastique, nous donnent à voir des univers hors du commun dans lesquels se manifeste une sorte de « retour du religieux » changeant et instable mais néanmoins présent. Cette approche tend à montrer trois choses : 1) L’homme actuel appréhende le mystère de son identité en « langage cosmique » ; 2) Il est hanté par « l’idée de transformation de toutes choses » ; 3) Il assiste à un « crépuscule des dieux traditionnels » qui le pousse à ré-inventer, à ré-imaginer le divin et, de ce fait, à repenser sa propre humanité. L’apparition et l’essor de ces subcultures montrent un besoin important d’irrationnel et de merveilleux dans notre société occidentale désenchantée, utilitariste, envahie par le réalisme économique et technologique. Il s’agit donc d’un besoin de réenchanter le monde. Les milieux étudiés font appel à un registre occultiste qui montre un refus fort d’un monde rationaliste, technicien et désenchanté.
Ces milieux contre-culturels, en dépit de leurs constructions « culturelles » qui peuvent sembler étranges pour le commun des mortels, peuvent donc être considérés, d’un point de vue anthropologique, comme une construction identitaire. La pérennisation de ces milieux est créatrice d’une nouvelle identité, en l’occurrence spirituelle. Cependant, nous sommes aussi en présence d’un « occultisme dilué » : nous avons constaté que certains de ces acteurs ne font que reprendre des thèmes, des symboles, sans pour autant adhérer à cette forme de pensée. Cela pour la simple raison que ces personnes ne maîtrisent absolument pas les discours ésotérico-occultistes… Quoi qu’il en soit, ces créations culturelles sont les expressions, fort passionnantes, de tentatives, parfois réussies, de ré-enchantement du monde.