Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Mélisande Morlighem
Serait-ce la revanche de la théorie du climat ? Il fut un temps pas si lointain où il était de bon ton de railler comme constituant une caricature du positivisme la théorie du climat construite par Montesquieu. Ce que nous propose Gillen d'Arcy Wood aux éditions de la Découverte, est pourtant l'illustration de ce qu'un événement climatique majeur et largement oublié aura profondément modifié pour plusieurs années la vie d'une bonne partie de la planète, répandu une misère noire et modifié pour partie le cours de l'histoire.
En s'appuyant sur les rares témoignages d'époque produits par des voyageurs à propos de cette éruption qui eut lieu près de Java en avril 1815, reprenant aussi des sources d'archives climatologiques américaines, chinoises, européennes, regrettant de ne pas posséder d'éléments concernant l'Afrique, l'auteur nous décrit une situation apocalyptique à l'appui d'éléments recueillis essentiellement par les carottes prélevées dans la croûte glacière. Ces précieux indices nous indiquent qu'il y eut précédemment, en 1809, quelque part dans le monde, une autre éruption d'ampleur juste un peu moindre, mais qui causa cependant une température de cinq degrés en dessous de zéro à Manchester en plein mois de mai, ces deux événements volcaniques ayant été les plus destructeurs depuis 1640. Mais on sait également qu'auparavant, en 1452, une éruption intervenue dans l'archipel du Vanuatu fut aussi d'une très grande intensité. L'absence de réseaux de communication à ces époques explique largement notre méconnaissance de phénomènes climatiques majeurs que la précieuse glaciologie a permis en partie de lever en permettant de les dater. On nous rappelle au passage qu'un « petit âge glaciaire » marqua la planète entre 1250 et 1850. Auparavant, il y avait eu du vin en Grande-Bretagne et des cultures danoises sur la côte orientale du Groenland.
Devant les dégâts majeurs causés par le volcan Tambera, à commencer par un été 1816 qui n'exista tout simplement pas, certains ne manquèrent pas de penser à l'arrivée de la fin du monde, devant les famines, le choléra, puis le typhus, tout cela causant un durcissement des régimes politiques, l’auteur nous donnant les exemples suisse et anglais à l'appui. Ces malheurs furent essentiellement produits par un nuage de particules qui demeura présent deux ans au dessus des nuages naturels, déréglant la mousson, désorganisant l'agriculture et répandant la désolation au Yunnan comme en Allemagne et dans bien d'autres lieux. Ce fut, entre autres conséquences d'une éruption volcanique exceptionnellement destructrice, la quasi dernière famine d'Europe (l’Irlande connut encore une grande famine au milieu du XIXe siècle) et la première crise économique des États-Unis où les États du Nord-Est souffrirent particulièrement. Il s'ensuivit, pour l'essentiel, les années les plus froides de l’histoire connue du climat, avec en moyenne, une baisse de deux degrés.
Ce moment permit également la naissance de la climatologie, mais dans un certain désordre. Gillen D'Arcy Wood décrit le scepticisme qui accueillit les travaux d'observation d'un marin irlandais qui avait constaté non pas un refroidissement, mais un étrange réchauffement dans la zone arctique, une nouveauté que la marine anglaise tenta après réflexion d'exploiter pour son compte, mais trop tard, car un violent refroidissement vint très vite réinstaller les glaces, une fois passés les effets de l'éruption. Aujourd'hui certains climato-sceptiques prennent appui sur ce réchauffement conjoncturel pour contester l'importance de ce qui est en train de se passer avec la fonte des glaces des pôles.
Ces Anglais aventureux ne s'intéressèrent au choléra et ne développèrent une politique de santé publique que lorsque la maladie toucha leur pays, après avoir supporté sans broncher la mort de centaines de milliers d'Irlandais.
L'auteur étudie également la production d'écrivains qui se connaissaient intimement, Mary Shelley, créatrice de Frankenstein, œuvre dont il pense qu'elle doit beaucoup à ces événements climatiques et le poète Lord Byron dont les œuvres furent à son avis également influencées par un voyage en Suisse en 1816, année où les glaciers avancèrent avant de fondre rapidement et où le lac de Genève fut le cadre de tempêtes mémorables, provocant de dramatiques inondations. De même le flou des peintures de Turner ou de Constable pourrait bien venir du ciel que connut effectivement l'Angleterre pendant près de deux années.
Quant aux Chinois du Yunnan, un poète dont Gillen D'Arcy Wood propose la première traduction, Li Yuyang, a montré à quel point la misère y fut aussi atroce, ce qui eut, entre autres conséquences, de favoriser la culture de l'opium, jugée plus rentable par les paysans survivants du désastre, alors que le riz avait pourri pendant plusieurs saisons en entrainant une énorme famine.
En résumé, cette enquête passionnante nous replonge dans une période aussi courte que dramatique sur laquelle les historiens ne pourront plus porter le même regard. Entendons-nous bien, il ne s'agit pas pour l'auteur de réécrire entièrement l'histoire de cette époque, mais de proposer d'inclure une nouvelle variable d'importance.
Il reste à savoir si nous sommes prêts à affronter la prochaine éruption de cette ampleur qui ne manquera pas d'intervenir, la question est proprement vertigineuse et l'auteur ne dit mot de ce qui se traduirait par une surmortalité humaine et animale ; une catastrophe écologique avec, entre autres, une agriculture sinistrée ; le retour de maladies oubliées et des structures hospitalières dépassées ; deux ou trois années sans aviation, ni aérospatiale ; des réseaux en déshérence ; une coopération internationale mise à l'épreuve ; une probable régression politique et sociale...
Il ne s'agit pas hélas de science fiction. La seule nouveauté par rapport à ce qui s'est passé il y a plus de deux siècles sera la possibilité d'évaluation de la durée du phénomène, ceci permettant d'éviter les délires eschatologiques, encore que...