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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

L’Éventail de l’islam français enfin déplié

Rédac'

Rien de tel qu’une bonne quantification pour refroidir un dossier réputé chaud bouillant. Révérence gardée envers la laïcité française, il est connu que celle-ci s’est longtemps interdit de procéder à des enquêtes officielles sur les opinions religieuses des Français. Quant aux instituts privés, ils ont répugné à imiter leurs confrères anglo-saxons comme Gallup.

Il semble que l’on sorte enfin de cette timidité et du flou, propices à l’expression de tous les fantasmes et de toutes les vraies et fausses naïvetés. En attendant que l’on en vienne à mesurer le délabrement du christianisme français, à l’exception du protestantisme évangéliste, voici que l’Institut français d’opinion publique (IFOP) s’intéresse à mettre en chiffres les diverses tendances de l’Islam.

C’est l’institut Montaigne, fondé en 2000 par Claude Bébéar, groupe de réflexion comportant des intellectuels et des chefs d’entreprise, qui a confié cette étude aux spécialistes de la mesure de l’opinion et qui permet d’établir une typologie des quelque quatre millions de musulmans vivant en France. Les médias ont largement relayé l’affaire. L’enquête a été menée auprès d’un échantillon représentatif de 15 549 personnes âgées de plus de 15 ans, avec un sous- échantillon de 1 029 personnes ayant au moins un parent musulman : 84% de celles-ci se disent croyantes et les 16% restants relèvent d’une sortie de la religion qui ne semble pas avoir été relevée par les médias.

Hakim El Karoui, auteur du rapport de l’Institut Montaigne intitulé de manière assez volontariste: « Un Islam français est possible », a établi, à partir des résultats du sondage, trois grandes catégories :

- Ceux que l’on peut considérer à la fois comme isolationnistes et islamistes, mettant la charia au dessus de la loi républicaine, fortement partisans du hallal, mais souvent peu cultivés en termes de théologie, considérant par exemple souvent que ce hallal serait un pilier de l'Islam. Ils sont 26% du total, soit environ un million. Mais cette tendance touche deux fois plus les jeunes de 15 à 25 ans que les autres. Il sont donc au nombre d’environ 600 000, ces jeunes islamistes.

- Les membres de la majorité silencieuse, regroupant 46% des musulmans. Ce sont des pratiquants réguliers ou occasionnels, inscrits dans une logique républicaine, mais avec affichage d’une spécificité autant culturelle que religieuse dans l’espace public, notamment avec le port du voile pour les femmes. Ils pratiquent pour beaucoup le ramadan.

- Les intégrés, presque invisibles, 25%, soit un million de partisans d’une religion personnelle et privée, totalement laïque.

On attendra non sans impatience de prochaines enquêtes sur les opinions et les pratiques religieuses, en espérant qu'elles comprendront des éléments sociologiques précis qui permettront d’aller au-delà de la confirmation de certaines données de cadrage déjà connues, à savoir que les Musulmans sont, en moyenne, plus jeunes, davantage croyants et moins diplômés que le reste de la population française.

Hakim El Karoui appelle à combattre la première catégorie, celle des islamistes (lourde tâche !) en reconfigurant pour commencer les institutions prétendument représentatives du culte musulman et qui ne le sont en fait pas du tout. Parmi les autres propositions, on relèvera la refonte de la politique internationale du pays vis-à-vis des États islamistes (Arabie saoudite et Qatar au premier chef) et l’édition de livres d’histoire communs aux deux rives de la Méditerranée (Qui osera réaliser ces changements ?).

Si l’on peut se réjouir de telles enquêtes, il est cependant permis de penser que certaines autres propositions de la fondation Montaigne impliquant une prise en charge directe d'une religion par l’État poseront davantage de problèmes qu’elles n’en résoudront. Mieux vaudrait simplement, comme pour les Chrétiens de toute obédience, les Juifs ou les Bouddhistes, laisser les Musulmans se débrouiller entre eux, tout en luttant contre l’islamisme en tant qu’il est dangereux pour la démocratie et fait peser une contrainte sur les populations des lieux où il est implanté, les femmes en particulier.

Ceci posé, on ne pourra désormais ignorer, grâce à cette enquête statistique qu’il va falloir reproduire et peaufiner, que l'islamisme, pas forcément violent et encore moins obligatoirement terroriste, puisqu'il comprend, entre autres tendances, le piétisme, touche environ un million de français, dont quelque six cent mille jeunes. Les structures de déradicalisation ont de beaux jours devant elles. À l’autre bout du spectre, trois cent mille personnes environ ne sont plus assignables à une religion qu’ils ont quittée.

Toute comparaison n’est certes pas raison, mais cela correspond à peu près à l’état du catholicisme français à la fin du XIXème siècle, à l’époque où l’on parlait de « Mahométans ». Cela ne signifie pas que l’islam suivra la même voie de dépérissement, même si la baisse de la pratique religieuse dans les pays musulmans pourrait le laisser croire. C’est ce qu’a confirmé récemment un spécialiste incontesté de la question, Olivier Roy : « Les pratiques religieuses qui sont visibles aujourd’hui ne sont pas ­celles d’il y a soixante ans. Ce ne sont pas les formes traditionnelles du religieux qui font la une des journaux. Ce sont des formes néo-fondamentalistes. Assiste-t-on néanmoins à une expansion de la religiosité ? Les chiffres démontrent le contraire. Partout, y compris dans les pays musulmans, la pratique religieuse baisse. La sécularisation a gagné, ce qui a entraîné un divorce entre la culture dominante et le religieux, qui a commencé dans les années 1960 et qui porte sur les valeurs » (entretien avec Fehti Beslama, psychanalyste, Le Monde, 5 août 2016, débat ayant eu lieu pendant les «Controverses du Monde » au festival d’Avignon en juillet 2016). Encore une fois, seule la récurrence d’enquêtes sur lesquelles pourront s’appuyer des recherches approfondies permettra de suivre l’affaire sérieusement.

Comme il est fort probable que les politiques vont s’emparer de cette question dans la période d'intense activité primaire et secondaire qui vient de commencer, on se réjouira que, si controverses il y doit exister, inévitablement, elles ne pourront plus se bâtir sur des imprécisions. A moins que l'idéologie soit à ce point tenace qu'il ne serve à rien de vouloir transmettre de la connaissance utile.  

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L
Très juste pour ta première remarque (hélas!). Pour la deuxième je ne sais... il me manque des éléments pour rester objectif... affaire à suivre en tout cas !
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B
Pas partout, la démocratie, dans certaines obédiences en tout cas elle ne brille pas par sa présence.<br /> Mais pour en rester à l'islam il ne sera pas facile de libérer les bonnes volontés des tutelles passant souvent par des financements .
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L
La démocratie fait parti de notre culture hexagonale et s'impose par elle-même pour quiconque venant vivre en France.
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A
Effectivement, on peut remercier la fondation Montaigne d'avoir commandité cette enquête, mais pour ce qui est de l'intervention de l'état, c'est discutable, sauf si elle réussit à imposer une logique démocratique ...
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L
Un très bon dépoussiérage et utile ! En espérant que le résultat de cette enquête soit prise en compte. Par ailleurs je pense que la prise en charge directe d'une religion par l'état, proposée par la fondation Montaigne, est une très mauvaise idée, à la limite d'un non-sens et anti-démocratique.
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