Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Bernard Lubat, multi-instrumentiste de grand talent, capable de jouer du piano comme de la petite cuillère, réputé comme ayant un caractère de cochon bien trempé, a fondé en 1976 une compagnie qui s’est installée deux années plus tard dans le village natal du jazzman, Uzeste, en Gironde. Depuis se sont déroulés et vécus là-bas d’innombrables moments de croisements, des rencontres estivales entre les musiciens et les populations que Bernard Lubat commente volontiers dans une langue qui sent à la fois son petit lacanien de poche et l’almanach Vermot, mais aussi le petit marxiste illustré, au service permanent d’un front culturel de résistance populaire ». Sont passés par Uzeste certains des plus grands noms du jazz ( Charlie Mingus, Martial Solal, Archie Shepp, Cecil Taylor...), mais aussi des écrivains, des poètes, des touristes, des passants, tout un monde en suspension le temps d'expérimentations multiples et avariées, soit dit pour tenter de parler un tantinet la langue appropriée avec un unezte de prétention.
Disques, livres et films ont jalonné ce dispositif, qui s’est enrichi en 2015 d’un long dialogue entrepris avec un sociologue grand amateur de jazz et lui-même musicien à peine repenti, Fabien Granjon, spécialiste reconnu des théories critiques. L’« épatiti-pataphysicien-anartiste-acharniste dégénéraliste in situ actionniste » (sic) a longuement été interrogé par le sociologue post-ci, mais toujours ça, sur sa pratique et sa théorie et cela a donné, en 228 pages format carré, vendues 21 euros, un ouvrage proprement étonnant, Les UZ-topie de Bernard Lubat (Dialogiques), aux éditions Outre Mesure.
Rarement en effet pratique artistique/politique n’aura été interrogée avec une telle profondeur théorique. L’affaire serait sans doute profondément soporifique et réservé aux élites élitissimes si la lecture du livre ne laissait rapidement apparaître une profonde sensibilité des deux dialogueurs et une volonté farouche de double réflexivité. On traverse tout le parcours récent du jazz français, comme celui de la sociologie et de la philosophie critiques et on assiste à la mise en mots d’une histoire culturelle volontariste ne négligeant ni les aspects économiques, ni la difficulté de construire un registre mezzo entre le macro théorique et le micro existentiel.
Tout y passe en matière de références érudites, mais c’est toujours fort à propos. Le professeur professe, pro-fesse, aurait dit Lubat, à toute fin de nous guider, écrit-il, sur les chemins d’une émancipation. Les deux amis incarnent leur démarche commune avec un tel acharnement qu’on se dit qu’il devait y avoir des deux côtés comme une urgence à formaliser une telle expérience.
Le choix, en exergue du livre, d’une citation de Fernando Pessoa, « J’emporte avec moi la conscience de ma défaite comme l’étendard d’un victoire », renseigne en creux sur ce qui est peut-être aussi une douleur, celle qui naît après avoir porté à bout de bras une juste cause, avoir voulu illustrer Gramsci en réintroduisant la culture au creux de la lutte, pour mener en mode mineur de fond « la guerre de l’art contre l’art de la guerre » et d’en témoigner vaille que vaille et coute que coute.