Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
S’il faut citer un film fantastique emblématique des années 1970 avec sa dose de forces maléfiques et de possession, c’est L’Exorciste (1973) qui vient immédiatement à l’esprit. D’ailleurs, douze ans plus tard, dans L’Effrontée (de Claude Miller, 1985) quand Charlotte (Charlotte Gainsbourg) qui a fait croire qu’elle a 15 ans, suit Jean (Jean-Philippe Écoffey) au cinéma, c’est pour aller voir le film de William Friedkin... tétanisée sur son siège.
À la même période que L’Exorciste, un réalisateur français, aussi peintre et écrivain, s’est pourtant essayé au genre. C’est ainsi que Mario Mercier a réalisé deux (uniques) longs métrages fantastiques : La Goulve (1972) et La Papesse (1975).
La Goulve raconte comment cette créature féminine prend possession des êtres humains. « Associant les termes goule, louve et vulve, le titre est déjà un fascinant amalgame de mythologies intemporelles » (Edgar Baltzer, article La Goulve, Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques, sous la direction de Bier Christophe, Serious Publishing, 2011).
L’intrigue de La Papesse est donnée en voix off dès l’ouverture du film : « Quelque part dans le monde, et pourtant hors de lui, vit une secte étrange dont les origines se perdent dans la nuit des temps ». Cette secte est dirigée par une femme nommée « Géziale », intronisée papesse « selon la tradition ancienne ». Un homme, Laurent, « a voulu se faire initier par cette femme ». Laurent et son épouse, Aline, vont alors suivre « un parcours typiquement sadien » à base d’« une spiritualité de magie noire fondée sur la souffrance, le blasphème, la soumission, l’esclavage, l’abdication totale de son identité » (Frédérick Durand, article La Papesse, ibid.).
Ces deux films ont été qualifiés par Mario Mercier de « Witch Cinema » ou de « cinéma sorcier ». Comme il l’explique lui-même, il avait la volonté de réaliser bien d’autres films sur l’occultisme, la possession, puis le chamanisme, ces deux premiers n’étant que des points de départ : « Je voulais faire un cycle de films des ténèbres à la lumière » (entretien, 1kult.com, 10 mai 2010). Mais la censure qui le frappe avec le classement X de La Papesse lui interdit l’accès aux producteurs devenus trop méfiants, sa carrière cinématographique s’arrête donc là. Aujourd’hui ces deux films n’ont été diffusés que par L’Étrange festival ou à l’occasion du cycle « Cinéma bis » de la Cinémathèque française. Les copies sont rares, celle disponible de La Goulve est même « vinaigrée ».
C’est donc dans d’autres arts, l’écriture et la peinture, que Mario Mercier a continué sa quête, revendiquant de multiples passerelles entre toutes ces formes d’expression : « Je peins ce que j’écris et j’écris ce que je peins (...). Dans les films j’ai essayé de faire des tableaux » (entretien, Culturopoing.com, 12 octobre 2009).
Le point commun entre ces deux films est qu’ils racontent des quêtes qui ne réussissent pas, des initiations ratées parce que les candidats à l’initiation n’arrivent pas à dépasser leurs instincts pour atteindre une sagesse supérieure. Mario Mercier et son « Witch Cinema » livre ainsi sa vision du fantastique...
Le « Witch Cinema » est, selon son auteur, « la représentation visuelle des mondes invisibles qui nous entourent ». Ses deux films sont deux OVNI dans la production française. Car Mario Mercier ne fait pas dans le commercial, dans le « cinéma d’exploitation », lui, il y croit. C’est d’ailleurs pour être au plus près de cette vérité qu’il a interrogé et fréquenté beaucoup de sorciers et renforcé le côté documentaire de ses films. Le générique de La Goulve crédite ainsi Claude Deplace comme « conseiller à l’occultisme ». Et le réalisateur ne cache pas son intérêt pour la chose : « Ce qui m’intéresse, c’est l’autre côté des choses, les mystères de l’invisible, le monde entre la réalité et le rêve, cet équilibre » (entretien, Culturopoing.com, op. cit.). Mais aucune religion, ni aucun dieu chez Mario Mercier qui se définit lui-même comme « un peu anarchiste mystique » (ibid.).
Outre l’aspect documentaire, l’autre tendance de son fantastique est l’ancrage dans la ruralité, dans la nature, les arbres, les rochers et les villages. Le résultat de ses quêtes et enquêtes est « une sorte de sorcellerie de la France profonde » (ibid.), l’expression du fantastique au cœur d’un monde où les êtres humains vivent très près de la nature. La Goulve se passe ainsi dans un village perdu au milieu de la campagne, dans une forêt et au bord d’un lac et La Papesse se déroule entièrement au sein de paysages naturels.
Mais passés ces points communs (l’initiation ratée, l’exigence documentaire et l’environnement rural), chacun des deux films développe un sujet particulier.
La Goulve est « un film sur la possession, c’est un glissement vers la possession » (ibid.) : l’orphelin Raymond (Hervé Hendrickx) grandit chez un sorcier, Axel (Wilfrid Chetteoui) qui possède le portrait d’une femme appelée « La Goulve ». Axel met en garde Raymond sur la Goulve : « C’est une créature d’un autre monde », elle peut être méchante « pour ceux qui voudraient l’utiliser à de mauvaises fins sinon, c’est une bonne gardienne ». Même après sa mort (en voix off donc), Axel prévient le jeune homme : la Goulve doit le protéger et le guider, elle doit être nourrie de fluides et de bonnes pensées « et ne sois jamais tenté d’en faire une servante, car elle t’enchaînerait à ses instincts ». Mais c’est plus fort que lui, Raymond invoque la Goulve, « fille du monde d’Asia, déesse verte » pour conquérir Agnès (Maïka Simon) puis sa cousine Nadine (Anne Varèze). La Goulve prend bientôt possession de Raymond, des deux jeunes femmes et même de Constant, le fiancé d’Agnès.
Le fantastique affiche ici ses affinités avec la tradition expressionnisme allemande et russe et, d’ailleurs, Mario Mercier affirme que « toute écriture filmique doit privilégier l’ambiance » (ibid.). D’où l’importance de la musique de Guy Boulanger et Jean-François Gaël, omniprésente et obsédante tout au long du film. D’où, aussi, l’importance, bien sûr, du portrait peint de la Goulve. Dans son film, Mario Mercier a souhaité faire vivre cette peinture, lui donner trois dimensions, considérant que le style fantastique permettait de « dépasser les trois dimensions » (entretien, Cinémathèque française, 6 avril 2012).
C’est d’ailleurs l’incendie du portrait par Constant qui fait mourir Raymond, liant le sort du portrait à l’être possédé dans un rapport inversé de celui que racontait Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray (1890). Les autres personnages ne connaissent pas de destin plus enviable. Agnès finit par se noyer, mais avant, possédée, elle enlace un arbre amoureusement. Mario Mercier entamait là son évolution vers le chamanisme qu’il exprimera plus tard dans des ouvrages tels que L'Esprit de la forêt. Voyages chamaniques au cœur de la nature (éditions Accarias L’Originel, 2000) ou L'Enseignement de l'arbre-maître : L'histoire magique d'un homme et d'un arbre (Les éditions du Relié, 2009).
Nadine ne voit que la Goulve derrière le visage de Raymond, elle l’attire sensuellement, danse nue pour elle avant de se trancher la gorge.
Enfin, Constant, resté seul, comprend qu’il est lui aussi possédé puisque, se regardant dans l’eau, il ne voit pas son visage, mais celui de la Goulve.
Dans La Papesse, la possession est présente, mais uniquement lors d’une scène de sabbat : Géziale (Marie Ange Saint-Clair) s’empare d’une des disciples qui se déhanche nue et se roule par terre. Géziale explique alors à Laurent : « Maintenant, tout de suite, prends-moi, il faut que je sorte d’elle ! ». Dans la réalité, la frénésie des comédiens dévêtus s’explique, moins par la possession et plus par la météo, car le tournage s’est déroulé en hiver et Mario Mercier avoue : « Qu’est-ce qu’on caillait ! » (entretien, 1kult.com, op. cit.).
Sinon, le fantastique de La Papesse est fait de multiples rites et rituels qui se mélangent comme le montre les objets manipulés par la secte : calice, tablier maçonnique, crâne, hostie noire, couteau, chandelier, étoile de David, dessin de bouc diabolique... Mario Mercier le reconnaît : « J’ai pris des idées un peu partout et je les ai fait mienne » (ibid.).
Le réalisateur ne disposaient que de peu de moyens pour représenter ce fantastique. Dans La Goulve, des bombes avec quelques fumigènes et des feux de Bengale au bout d’un Opinel ! Dans La Papesse, les effets spéciaux sont plus nombreux mais tout aussi chiches : lentilles, flous artistiques, filtres, parties filmées en négatif, sang bien rouge. Le va-et-vient alternant gros plans et plans plus généraux illustre le lien entre le psychologique et le collectif, entre l’individu et son environnement. En fait, c’est bien avec cette ambiance particulière à laquelle participe également la musique et un certain humour noir, que le réalisateur parvient à glisser peu à peu d’une réalité rurale à un monde onirique, fait de possession dans La Goulve et fait de sadisme dans La Papesse.
L’actrice qui joue Géziale, initiatrice et connaisseuse en matière d’occultisme, n’était évidemment ni sadique, ni meurtrière dans la réalité. Elle serait même une des rares initiées et n’aurait tourné que ce film avant de devenir medium aux États-Unis. Mario Mercier l’a choisi pour ces connaissances et pour son physique assez banal, reflet de son idée du « fantastique de la France profonde ». Il lui a quand même adjointe une prêtresse beaucoup plus sexy (Lina Olsen), car nous sommes dans les années 1970...
À suivre : « La revanche de l’époque, le sexe des années 1970 ».