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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Mario Mercier et le « Witch Cinema » (3/3) : la revanche d’une époque, nouvelles femmes et anciennes peurs

Julien Vercel

Partant de cette vérité historique selon laquelle trop de femmes ont été injustement brûlées, Mario Mercier entreprend, avec son « Witch Cinema », une certaine réhabilitation des sorcières. Ses deux films présentent ainsi des « femmes qui possèdent ».

La Goulve, interprétée par Marie-Ange Saint-Clair, a un look très années 1970 puisqu’elle aurait pu inspirer la Farrah Fawcett de Drôle de dames (série créée par Ivan Goff et Ben Roberts en 1976). Mais elle est aussi, classiquement, une femme dévergondée et qui dévergonde. La preuve ? Elle est liée aux serpents, ces animaux qui jouèrent un rôle dans la perte de l’Eden. C’est ainsi qu’elle est surnommée « la dame aux serpents », car sa chevelure est remplie de serpents. Le serpent lui permet de frapper ses ennemis, comme l’ivrogne (joué par Bepi Fontana) qui insulte Raymond ou de marquer sa possession d’un corps quand Nadine, possédée, danse avec plusieurs couleuvres à ses pieds.

Les serpents sont présents aussi dans La Papesse, mais uniquement lors de la première épreuve de Laurent : dans un cercle de feu, il est enterré, sa tête dépasse, un panier de serpents est renversé devant lui. Sinon, c’est l’image de domination qui accompagne toujours la papesse Géziale. Elle est donc d’abord présentée par des plans sur ses seuls pieds. Quand elle découvre Laurent allongé dans la nature, en soulevant la couverture de son pied, il a reçu l’ordre préalable de baisser la tête. La papesse lui demande en voix off : « Acceptes-tu de te soumettre totalement ? D’oublier ta personnalité afin de recevoir ce que je t’enseignerais ? », « J’accepte » répond Laurent avant de lui donner le « baiser d’acceptation » sur la bottine. Pas étonnant que, pendant le sabbat, lorsqu’ils s’accouplent pour la première fois, la papesse se place au-dessus de Laurent !

Seules les femmes qui appartiennent à la secte de la papesse sont visiblement émancipées. La prêtresse Lina (Lina Olsen) apparaît en blouson et bottes de cuir, c’est elle qui commande les épreuves auxquelles est soumis Laurent. C’est elle aussi qui les adoucit (elle détourne notamment la douleur des coups de fouet vers Aline, l’épouse de Laurent). Les autres disciples émancipées fument, boivent et prennent des poses dominatrices, donnant des ordres les mains campées sur les hanches.

Ces femmes puissantes et « initiées » ont des victimes. Leurs premières victimes sont d’autres femmes. Car chez Mario Mercier, seule la séduction par la magie ou les mystères occultes est valorisée, mais les femmes tentatrices qui se refusent sont sévèrement punies !

Dans La Goulve, c’est le cas d’Agnès et de Nadine. Agnès (Maïka Simon) a accepté de pique-niquer avec Raymond et décide de se baigner. Elle se déshabille et le dissuade de faire de même car il ne serait pas beau tout nu. Elle lâche un « Quel maladroit tu fais, tu commences à me gêner ! » quand il n’arrive pas à dégrafer son soutien-gorge. C’est donc nue qu’elle se baigne devant un Raymond vêtu et resté sur la berge. Et quand Raymond découvre dans le sac d’Agnès la photographie de son petit ami, Constant (César Torres), Agnès se révèle impitoyable : « Lui au moins, c’est un homme un vrai, pas une cloche comme toi ». Raymond invoque alors la Goulve pour se venger : Agnès est bientôt possédée et ne peut qu’admettre sa défaite devant Constant : « Elle est en toi, en moi, elle est partout »... avant de se suicider dans l’eau du lac où quelques jours avant, elle narguait Raymond. La cousine Nadine (Anne Varèze) a aussi le défaut d’aimer un autre que Raymond, elle aussi sera bientôt possédée par la Goulve et se tranchera la gorge !

Dans La Papesse, la principale victime féminine est Aline, l’épouse de Laurent. En 1975, la loi institue le divorce par consentement mutuel, mais pour Aline, c’est trop tard, elle sera sacrifiée après une succession de violences valant au film son classement X. La papesse se montre tout de suite très explicite dès sa première rencontre avec Laurent : « Tu as une femme refoulée et névrosée. Elle fera un excellent médium. Il me la faut ». Aline a seulement le tort de reprocher à Laurent de rentrer bien tard, de résider dans une « bicoque » perdue, d’être obsédé par la magie et les spectres. L’incompréhension est totale dans ce couple et c’est Aline qui en fait les frais la première : elle est fouettée : « Fouettez, frères, fouettez, extirpez cette âme perdue de cette innommable charogne ! ». Un homme encagoulé de noir, brandit une hostie noire : « Repends-toi maudite, car maintenant tu vas communier avec la mort ». Restée seule dans sa « bicoque », elle tente de se suicider au Gardénal. Laurent la ranime et l’emmène avec lui « là où tu seras heureuse », c’est-à-dire qu’il la livre à la papesse ! Lina explique « Cette femme est ici pour se surpasser, franchir ses principes, briser sa structure mentale et se retrouver enfin digne d’être acceptée par nous » et reconnaît : « Avant j’étais comme elle, une pauvre conne ! Et je me suis pourtant réalisée en retrouvant mon vrai moi grâce à Géziale ! ».

Le « surpassement » se traduit par deux viols, la relégation nue dans la porcherie et une marque « P », au fer rouge, sur la fesse ! Là encore, Lina explique ce parcours sadien à Laurent : « Ne t’inquiète pas, chacun de nous a son initiation, pour elle, il faut passer complètement par l’état de bestialité », « Nous cassons le fruit pour en extirper l’amande ». Enfin, vient la « grande épreuve » de la nuit. La papesse se fait solennelle : « Aline, je veux faire de toi et malgré toi, une fille de la Ténèbre, car tu es l’épouse de l’un des nôtres. Par les liens du sang, tu vas servir de support à cette cérémonie. J’espère que tu seras digne de notre confiance »... Aline est allongée dans une fosse de paille, un poulet est sacrifié au-dessus d’elle, son sang coule sur elle et dans un calice. Un disciple vient la violer, éjacule dans le même calice et la papesse boit cette « offrande symbolique d’extase et d’agonie, prise à la vie et à la mort ». Mais quand elle réclame le baiser de soumission à Aline, cette dernière la mord et s’enfuit. Aline se réfugie d’abord dans une grotte où elle est harcelée par les esprits tripoteurs qui l’habitent puis finit égorgée par le chien de Borg (Mathias von Huppert) lancé à sa poursuite. « Quel gâchis ! » conclut Borg avant de jeter le corps dans un trou d’eau.

Les femmes initiées et libérées (mais soumises quand même à la papesse !) mettent à mort les femmes de l’ancien temps, les coquettes comme les épouses. Sous un habillage occulte et magique, ce sont d’anciennes peurs qui s’expriment face à ces femmes émancipées : la peur de la liquidation des hommes ou de leur assignation à la seule fécondation.

Côté liquidation, Raymond s’efface complètement dès qu’il invoque la Goulve et c’est la relation entre cette dernière et les femmes possédées qui est montrée à travers des caresses, des blessures puis des soins et des baisers. Une lecture psychanalytique pourrait aussi être engagée. Les années 1970, après le désenchantement post-mai 68 et l’effondrement des grandes idéologies maoïste, trotskiste ou léniniste, voient resurgir les problèmes personnels et permettent un développement de la psychanalyse. La piste n’est pas absurde dans La Goulve : le père de Raymond a tué sa femme avant de se suicider devant son fils. Et quand le sorcier Axel fait sentir une fiole mystérieuse au tout jeune Raymond, ce dernier dit : « Maman ! ».

Côté assignation, la papesse annonce le programme lors de la cérémonie nocturne : « En tant que fille de la Ténèbre, j’ai pour mission de préparer la venue du règne des femmes de toutes races qui œuvreront dans l’aire du verseau. Ces femmes que la plupart des religions persécutèrent, reconquerront leurs anciens pouvoirs et redonneront à l’amour sa puissance initiatique et sacrée. Mais avant d’atteindre ce but qui fait partie de l’évolution de l’humanité, je ne vous cache pas que la lutte sera âpre et longue, car les forces du mal ne sont pas prêtes d’être dominées ». Tous les disciples viennent alors embraser la chaussure de la papesse.

L’ultime scène est celle où la papesse prend Laurent « comme époux au second degré » et, là encore, elle annonce le programme « Notre accouplement sera impitoyable, tu m’entends, impitoyable. Toute ton énergie vitale doit passer en moi. Ce sera peut-être ta dernière nuit, mais quelle nuit ! ». Après une cérémonie de mariage où il sont unis par « le lien du sang et le feu du sel », la papesse, vêtue d’un seul tablier à la mode maçonnique, chausse des griffes de fer au bout de ses doigts, danse et s’excite sous les coups de fouet de Lina. Pour ne pas se faire mordre, ni griffer, Laurent finit par la prendre en levrette, mais quand il en a fini, il la laisse se retourner et elle l’égorge : « Maintenant tu vis en moi, par moi, pour nous tous ( ...). Qu’on l’enterre avec le respect qu’il mérite ». Le départ du corps de Laurent porté par des disciples est la dernière image de La Papesse... Lina prend la papesse par l’épaule. Les femmes sont entre elles.

Malgré la magie, les films de Mario Mercier rejoignent d’autres films de la même époque qui mettent en scène la même peur de la prise du pouvoir par les femmes. Alexandre le bienheureux (Yves Robert, 1968) subit les ordres de sa femme, la Grande (Françoise Brion), qui inscrit quotidiennement sur un tableau les travaux à effectuer et passe sont temps à claquer des doigts pour le rappeler à l’ordre. Quand elle meurt dans un accident de voiture, Alexandre (Philippe Noiret) se met en ménage avec Agathe qui se révèle également une redoutable entrepreneuse… provoquant la fuite d’Alexandre.

Dans Le Diable par la queue (Philippe de Broca, 1969) le « baron » César Maricorne (Yves Montand) finit en chef des cuisines de l’Hôtel du Grand siècle, au service de ses châtelaines (Clotilde Joano, Marthe Keller, Madeleine Renaud et Maria Schell).

Dans Les Galettes de Pont Aven (Joël Séria, 1975), Henri Serin (Jean-Pierre Marielle), trop fasciné par « le cul » de Marie (Jeanne Goupil), finit en serveur de plage dans la paillote qu’elle détient. Enfin, dans Calmos (Bertrand Blier, 1976), l’expression de l’antiféminisme, de la peur et de la haine des femmes est à son comble avec ces deux hommes (Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort) qui fuient les femmes ne rêvant que de les violer. L’inutilité des hommes, leur manipulation ou leur réduction à un rôle purement fonctionnel n’est pas nouveau dans le cinéma, nombre de femmes « fatales » commandent depuis bien longtemps aux personnages masculins. La peur du pouvoir des femmes s’exprimaient alors par la peur de leur maîtrise de la sexualité. Mais ces femmes « fatales » des années précédentes ont été rejointes, dans les années 1970, par des femmes émancipées... par la magie ou par le travail.

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Sujet original et j'oserai dire utile à un féminisme éclairé
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A
Très bien <br /> Qui ne se frotte pas à la culture populaire ne comprend pas grand chose à la société, surtout s'il se dit progressiste.
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