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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

À propos des "Armées secrètes de l’OTAN. Réseaux Stay Behind, Opération Gladio et terrorisme en Europe de l’Ouest" de Daniele Ganser

Julien Vercel

L’auteur, chercheur au Centre d’études de l’Institut fédéral de technologie de Zurich, a soutenu sa thèse sur le réseau « Gladio » en 2001. La première version du livre (éditions Demi-Lune, 2011) date de 2005, mais la thèse reste la même : pendant la Guerre froide, l’OTAN, ne souhaitant pas renouveler l’improvisation de la Résistance entre 1939 et 1945, a planifié une organisation secrète de combattants stay-behind pour lutter contre une éventuelle invasion communiste. C’était donc, à l’origine, une mesure de précaution organisée par la Central Intelligence Agency (CIA) américaine et le Secret intelligence Service (SIS ou MI6) britannique, avec la collaboration de nombreux services européens. Les réseaux se sont appelés « Gladio » en Italie, « Absalon » au Danemark, « ROC » en Norvège, « SDRAS » en Belgique… Mais la thèse de Daniele Ganser ne s’arrête pas à recenser ces moyens secrets de l’OTAN : combattants de l’ombre et caches d’armes, il explique qu’en l’absence d’invasion communiste, ces armées auraient été mobilisées contre les forces politiques de gauche, qu’elles auraient contribué à instaurer la terreur et commis des actes terroristes dans des pays pourtant alliés. Ces réseaux seraient alors le versant occidental de la doctrine de Leonid Brejnev de « souveraineté limitée » des pays du bloc de l’Est (énoncée lors de la réunion de Pacte de Varsovie, le 3 août 1968 à Bratislava).

Le récit de la révélation de l’existence de ces réseaux a commencé en Italie lorsque, le 3 août 1990, le premier ministre Giulio Andreotti reconnaît, devant le parlement, la réalité de « Gladio ». Cela faisait pourtant plusieurs années que des juges enquêtaient sur des attentats : le premier étant sans doute celui du 31 mai 1972 quand une voiture piégée a explosé dans un bois près du village de Peteano. Mais les explosifs utilisés, du C4, comme les liens mis à jour par les juges entre un mouvement d’extrême-droite, Ordine Nuevo, et les services secrets italiens, incitent Daniele Ganser à conclure que ces attentats relèvent d’une « stratégie de tension » , coordonnée par l’OTAN, afin d’entretenir l’hostilité de l’opinion contre l’extrême-gauche, les communistes et la gauche en général. Ce passage de faits incontestables à un « complot » est le point faible d’un ouvrage qui se veut historique. D’ailleurs, John Prados, auteur de la préface et analyste aux archives de la sécurité nationale à Washington, constate lui-même que l’absence de sources directes interdit d’avoir la certitude d’une coordination (et donc du « complot ») : « À cause du secret défense qui interdit l’accès aux archives du gouvernement américain, il est impossible de connaître en détail les ordres transmis par la CIA à ses réseaux, ce qui permettrait de mettre en évidence, le cas échéant, l’intention délibérée de l’Agence d’interférer dans le processus démocratique des États où Gladio était actif. Si la volonté des agents de ces organisations ne fait aucun doute, les ordres reçus de leurs supérieurs demeurent inconnus ». Dans les remerciements, Daniele Ganser le dit autrement : « Compte tenu de la rareté des documents d’origine, je dus recourir à des sources secondaires : rapports parlementaires, témoignages de personnes impliquées recueillis par la presse, articles, livres et documentaires ».

Le chapitre sur la France –l’ouvrage est composé d’un chapitre par pays membre de l’OTAN- est, à cet égard significatif. D’abord il faut noter qu’aucun Français n’est cité dans les remerciements ! Ensuite, le lien est constamment fait, mais non démontré, entre les différentes armées secrètes d’extrême-droite et les réelles mesures anticommunistes prises lors de la Guerre froide. Ainsi le « Plan Bleu », organisation d’une armée secrète d’extrême-droite dévoilée, le 30 juin 1947, par Édouard Depreux, ministre socialiste de l’Intérieur, serait le volet armé du démantèlement en 1946 de la Direction générale des études et recherches (DGER) qui comprenait d’ex-résistants communistes et son remplacement par le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) plus franchement anticommuniste. Ce à quoi il faudrait ajouter le volet politique et syndical : l’exclusion des ministres communistes du gouvernement le 5 mai 1947 par Paul Ramadier et le schisme du 19 décembre 1947 au sein de la Confédération générale du travail (CGT) qui voit se créer Force ouvrière (FO) bénéficiant de capitaux américains.
Puis la « Rose des vents » qui prend le relai du Plan bleu, serait  à l’origine de l’« Organisation armée secrète » (OAS), créée en 1961 et de ses dérives, car la guerre d’Algérie a provoqué la perte de contrôle de ces armées secrètes par les responsables atlantistes.
Quant à la police parallèle gaulliste, le « Service d’action civique » (SAC) fondé en 1960 et dissout en 1981, l’auteur ne fait à son propos que des hypothèses : comme le SAC aurait enregistré jusqu’à 30 000 membres en mai 1968, « il est donc envisageable qu’il soit intervenu pendant les émeutes », mais « en l’absence d’enquête officielle sur l’histoire de l’armée secrète française, il est pour l’heure difficile pour les chercheurs de distinguer les différences entre les réseaux stay-behind Rose des vents et le SAC, cela mériterait de faire l’objet d’études approfondies. Il semble cependant que le SAC se soit lui aussi livré à des opérations anticommunistes secrètes ». Sur le SAC, on ne peut que conseiller la lecture de la bande-dessinée d’Étienne Davodeau et Benoît Collombat, Cher pays de notre enfance. Enquête sur les années de plomb de la Ve République (Futuropolis, 2015).

Le 12 novembre 1990, Jean-Pierre Chevènement reconnait l’existence d’une structure bâtie dans les années 1950 : « Cette structure a été dissoute sur ordre du Président de la République. Pour autant que je sache, elle n’a eu qu’un rôle de réseau dormant et de liaison ». Le 13 novembre 1990, François Mitterrand précise : « Quand je suis arrivé au pouvoir, il n’y avait plus grand-chose à dissoudre. Il ne restait plus que quelques rares éléments dont j’ai été surpris d’apprendre l’existence puisque tout le monde les avait oubliés ». Après ces déclarations minorant la réalité, Giulio Andreotti rappelle que la France était bien représentée les 23-24 octobre 1990, lors de la dernière réunion à Bruxelles du comité directeur de Gladio, l’Allied Clandestine Committee (ACC) de l’OTAN ! L’ouvrage de Daniele Ganser montre qu’il y a bien eu « quelque chose », mais que l’histoire de ce « quelque chose » reste à faire.

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J
Autre recension (plus complète) sur le blog des "Fragments sur les temps présents": https://tempspresents.com/2016/04/05/stay-behind-europeens-tenembaum-origoni/<br /> Merci de l'info
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