Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Julien Vercel
Dans Le Bouc émissaire (Grasset, 1982), René Girard propose une analyse de ce mécanisme de violence collective où« les persécuteurs finissent toujours par se convaincre qu’un petit nombre d’individus, ou même un seul peut se rendre extrêmement nuisible à la société toute entière, en dépit de sa faiblesse relative ». Mais la répétition de ce mécanisme de « bouc émissaire » est toujours entravée par sa révélation. Plus les êtres humains ont conscience de leur violence collective, moins ils seraient enclins à y céder. René Girard en tire d’ailleurs la principale leçon à retenir des Évangiles : Jésus révèle que la victime -lui en l’occurrence- est innocente et que c’est même pour cela qu’elle est sacrifiée par la foule inconsciente : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font » (Luc, 23 ; 34).
Un responsable politique qui veut aller sur ce registre de violence collective, s’il veut désigner des « boucs émissaires », devra donc ruser pour rallier une foule d’électeurs. Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy s’y sont récemment essayé pour désigner l’« ennemi », l’une en passant par la laïcité, l’autre en passant par la démographie.
Marine Le Pen instrumentalise la laïcité contre les musulmans
Mettant une sourdine au traditionnel antisémitisme de Jean-Marie Le Pen, le Front national (FN) de sa fille Marine, se pose en défenseur de la laïcité. Son projet de 2012 commence par rappeler la loi de 1905, mais dans un sens très particulier. Le mouvement d’entonnoir se fait en deux ou trois phrases pour utiliser la laïcité dans une croisade identitaire : le FN part de la laïcité, bien commun partagé par tous les Français, puis désigne la menace « communautariste » dans un premier « écran de fumée idéologique » (Laurent Lévy, Le Spectre du communautarisme, éditions Amsterdam, 2016) et finit par pointer l’ennemi musulman !
Les paragraphes du projet sont très explicites : « le communautarisme favorise l’extension de modes de vie étrangers à la civilisation française et la vigueur de mouvements politiques visant à instaurer la suprématie d’une religion ou d’une loi religieuse. Parmi les communautarismes aujourd’hui les plus puissants, encouragés par les élites, le fondamentalisme islamique impose sa loi, avec comme objectif d’appliquer la charia en France ».
Tout obsédé qu'il est par l’islam, le FN n’a pas de mots trop durs pour dénoncer les financements publics contrevenant à la loi de 1905 : « La politique communautariste en vient à nier les principes fondamentaux de la loi française sur la laïcité puisque des lieux de culte sont souvent subventionnés avec de l’argent public, grâce à des montages juridiques scabreux ». Mais le FN ne dit rien des financements publics, pourtant tout aussi contrevenants à la loi de 1905, en faveur des écoles catholiques, depuis la loi Debré de 1959.
Jean Glavany, député socialiste des Hautes-Pyrénées, s’efforce depuis longtemps de décrypter cette instrumentalisation de la laïcité : « Ce n’est pas l’objet de la République de combattre les religions. Si j’osais dire, elles se combattent très bien toutes seules (…). La laïcité n’a pas été conçue pour s’affronter avec les religions mais contre la domination d'une religion dans l’espace public, d'une religion contre l'intérêt général ». Et, pour lui, c’est clair : « Madame Le Pen n’est pas du tout laïque. Elle n’attaque qu’une religion et une seule, la religion musulmane et elle en défend qu’une et une seule, la religion catholique. Elle souhaite une revanche de la religion catholique sur la société française. Il suffit de l’écouter ou de voir sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, entretenir des affinités très grandes avec les milieux catholiques intégristes. Ce n’est pas du tout la laïcité qu’elle défend mais la guerre contre l’islam. C’est tout sauf la laïcité » (entretien, Marianne, 9 décembre 2015). Ce que résume Caroline Fourest : « La laïcité n’est pas un glaive, c’est un bouclier qui nous protège tous. Et, dans cette période traversée par la peur, elle est notre meilleure chance d’éviter ces deux gouffres que sont l’intégrisme et le racisme » (entretien, L’Obs, 13 octobre 2016).
À suivre