Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Georges Bormand
Voila un livre, Soumission (Flammarion, 2015), qui, malgré ses nombreux défauts, voire à cause de certains d'entre eux, multiplie les questions à se poser, et pas seulement sur les qualités (au sens neutre du mot, incluant les défauts) de l'auteur, voire sur le classement de ce roman dans ou hors la science-fiction (SF).
Pour la première question, la réponse est assez certainement que ce livre est un livre de SF pour plusieurs raisons : il se présente comme une anticipation. Cette anticipation masque de fait une satire, une caricature du monde réel, comme le faisait Micromégas. Est-il besoin de rappeler que Michel Houellebecq a écrit qu'on ne pouvait plus écrire aucune fiction sans l'intégrer dans la science-fiction, qui a apporté un certain nombre de règles et de tropes ? Sur ce dernier point, on objectera que Michel Houellebecq n'a, dans aucune de ses œuvres supposées de science-fiction, pas plus que dans celle-ci, respecté les dites règles et tropes et n'a essayé de présenter avec rationalisme et rigueur un monde possible. Il a accumulé caricatures et fantasmes personnels (anthropophobie, absence totale d'empathie, haine envers l'enseignement, les femmes, sa mère, les socialistes, etc), multiplié les incohérences, en particulier dans la présentation d'un prétendu modéré qui égale en extrémisme les salafistes et wahhabites les plus rigoureux, certaines scènes comme la disparition complète de toute vie un jour d'élections ou certaines autres mésaventures qui seraient crédibles si présentées comme des rêves , etc. Bref : un roman dont la qualité en tant que fiction spéculative est quasiment nulle. Il n'empêche que même si ce roman se range dans les 99% de la science-fiction merdique, il n'en est pas moins une preuve supplémentaire de ce que la SF écorne la « littérature mainstream ».
Passons aux idées véhiculées dans ce texte qui, apparemment, n'est déjà plus une anticipation, mais une uchronie, puisqu'il imagine que François Hollande aurait été réélu en 2017 et que le quinquennat 2017-2022 aurait permis une consolidation de la disparition de l'humanisme libéral (au sens politique du mot, pas au sens pseudo-économique).
Par la voix de certains personnages, Michel Houellebecq répète certaines idées identitaires du fascisme ancien et du fascisme islamique et essaye de nous convaincre, en même temps, de ce que l'islam est pire que le fascisme occidental, et que les buts du catholicisme sont les mêmes que ceux qui seront réalisés par l'Islam, la soumission de tous à une loi divine anti-humaine et anti-féminine à laquelle il ne reproche que de ne plus être catholique. Il est assez bizarre d'ailleurs que le narrateur, fasciné par Huysmans comme Michel Houellebecq doit l'être lui aussi, insiste sur le fait que Huysmans aurait abouti à cette soumission à Dieu que le catholicisme a échoué à imposer. En quelque sorte, le seul reproche fait par le narrateur et, sans doute, par l'auteur, à l'islam, est celui de ne pas être romain.
Comme le narrateur est supposé ne rien comprendre à ce qui se passe, c'est donc dans les conversations que ceux qui ont compris la réalité comme l'auteur la voit, vont la lui expliquer. Est-il besoin d'ajouter que, même déguisées comme des explications professées sur le ton le plus péremptoire possible, ces affirmations sont inacceptables ? Même si le narrateur les gobe comme des vérités d'origine divine. Et les caricatures du milieu universitaire, elles, sont tellement courantes que le fait que l'auteur se croit obligé de rappeler qu'il n'en fait pas partie les excuse presque.
Ceci étant, malgré le ton péremptoire que j'ai signalé et l'accumulation des hantises et phobies du grand anthropophobe qu'est Michel Houellebecq, les différentes affirmations et allusions que contient ce roman demandent qu'on y réfléchisse et qu'on recherche, sans difficulté, toutes les preuves de leur fausseté dans l'histoire et dans la philosophie, et ce qui demande encore à être éradiqué de la pensée commune, de l'« opinion publique ». Il y a lieu de lire et relire ce roman pour en chercher tous les pièges, nombreux, dans lesquels l'auteur veut nous faire tomber après lui.