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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Entre éducation et récréation, un support populaire inattendu : les jeux de cartes éducatifs (2/3)

Jean-Pierre Bacot et Jean-Luc Buard

En 1896, John Grand-Carteret (1850-1927), l'historien des vieux papiers et de l'imagerie, esquisse une histoire de ces variétés de jeux de cartes (Vieux papiers, vieilles images, cartons d'un collectionneur, A. Le Vasseur). Victor du Bled offre lui aussi une courte synthèse de ce sujet, en 1919 (Histoire anecdotique et psychologie des jeux de cartes, dés, échecs, Delagrave). Mais le traitement le plus complet est dû à l'historien des jeux en tout genre : Henry-René d'Allemagne, Les Cartes à jouer du XIVe au XXe siècle (1906), une véritable encyclopédie, richement illustrée.

Les premiers jeux de cartes pédagogiques sont créés pour l'éducation des princes au XVIIe, voire dès le XVIe siècle. Les historiens cités ci-dessus mentionnent le Jeu des philosophes, destiné à apprendre cette matière, conçu en 1507 par le cordelier Thomas Murner, auteur d'un livre en jeu de cartes pour enseigner la logique à ses étudiants. Ces jeux se sont ensuite multipliés et démocratisés au XVIIIe siècle, puis sous la Révolution (modification des figures sous des couleurs politique et satiriques) et au XIXe siècle. Sous la Restauration, certains jeux ne connaissent qu'une diffusion limitée à quelques dizaines d'exemplaires. Ils passent réellement à une échelle industrielle aux États-Unis et en Allemagne, et ils retrouvent la France après ce long circuit.

Les cartes traditionnelles ont évolué et ont été déclinées sous une multitude de variantes. John Grand-Carteret note : « Cartes historiques, cartes conçues dans un but unique d'enseignement, cartes à tendances scientifiques, cartes de pure fantaisie, quoique nées de conceptions bien différentes, tout cela se tient, puisque c'est toujours une tentative pour rompre en visière avec le type classique ». Grand-Carteret indique aussi que ce contenu pédagogique et de propagande décline d'abord des victoires militaires. Revenant au XVIIe siècle pédagogique, il poursuit : « Aidé d'un dessinateur habile, Le Belle [le graveur florentin Stefano Della Bella, 1610-1664], l'académicien Desmarets conçut toute une série de cartes instructives destinées à l'instruction du jeune roi de France alors âgé de huit ans (...) Au siècle suivant, le sieur Desnos, ‘libraire du roi de Danemark pour les globes et cartes géographiques’, devait plus ou moins rééditer tous ces jeux, sous des titres quelque peu différents (...). Dans cet esprit éducatif notre siècle poussera les choses encore plus loin, puisqu'il mettra L'alphabet et La grammaire en jeux (...), avec cet amusant petit boniment ‘Plus de larmes, plus de chagrins enfants, vous apprendrez, désormais, l'A. B. C. tout en jouant’. Et, après la grammaire, ce sera le tour de la mythologie. Mais longtemps la géographie fera prime dans cet ordre d'idées, car on trouve encore des jeux semblables sous le premier Empire et sous la Restauration, avec notices surchargées d'indications et de notes ». Décidément, nos époques moderne et contemporaine n'ont rien inventé !

Victor du Bled donne d'autres précisions concernant le XIXe siècle : « Il y eut aussi les jeux photographiques à deux têtes, les jeux de fantaisie où des acteurs célèbres, les personnages du roman des Trois Mousquetaires de Dumas, remplaçaient les figures ; — des jeux en l'honneur de Louis XVIII, Louis-Philippe, Napoléon III, Guillaume II, etc. ; — le jeu du petit soldat (1848) où sont exaltées les vertus civiques ; des cartes servant de gravures de modes, des jeux politiques où nos diverses formes de gouvernement avaient leurs tenants ; des jeux purement républicains (1870) dont les rois étaient : Gambetta, Garibaldi, Trochu, Jules Favre ; les reines : la Liberté, l'Égalité, la Fraternité et la France ; les valets : un franc-tireur, un garde national, un mobile, la Gloire. Et puis encore des jeux mythologiques, Jeu des Fables, Jeu de la Géographie, Jeu de l'Oie, dit des Fortifications, Cartes-proverbes, Jeu de la guerre, Cartes musicales, Jeux de cartes abécédaires, arithmétiques, géologiques, astronomiques, cartes à transformations, cartes par demande et réponse, sans oublier le jeu des cartes des batailles, les jeux satiriques, tels que le jeu de l'Armada espagnole, le jeu de la Révolution anglaise de 1688 (...) ». Tous ces jeux du XIXe siècle ont été étudiés par Jean Verame (Les Merveilleuses cartes à jouer du XIXe siècle, Nathan, 1989) et les cartiers par Thierry Depaulis (Cartiers parisiens du XIXe siècle, Paris, Accart, 1987, N° spécial de L'As de trèfle, nouvelle édition, Cymbalum mundi, 1998).

L'histoire des jeux de cartes publiée sur The Playing-card : journal of the International Playing-card Society (London, depuis 1972) insiste clairement sur l'inventivité française en matière de créations cartières : « Parallèlement à l'évolution des figures traditionnelles, on note un effort persistant, dans de nombreux pays, pour imaginer davantage de cartes fantaisistes, soit à vocation artistique, soit ayant un autre but que le simple jeu, par exemple l'instruction, la propagande, ou le divertissement. À la suite d'initiatives françaises, les Anglais à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle produisirent une série de jeux de cartes très originaux dans ce genre. D'autre pays, comme l'Allemagne et l'Autriche, devinrent cependant, au cours du XIXe siècle, les principaux producteurs de cartes fantaisistes pour les jeux en société ».

L'industrie de la carte à jouer prit une extension formidable au XIXe siècle, avec le développement des techniques lithographiques et de l'imprimerie. Certains fabricants proposaient même des jeux de cartes dont le verso pouvait servir de carte de visite... C'est peut-être là l'origine de l'idée du Club des Valets de cœur, société secrète dont les membres s'identifient par ce procédé, même si Ponson du Terrail ne fait jouer qu'un faible rôle à ce symbolisme.

 

Entre éducation et récréation, un support populaire inattendu : les jeux de cartes éducatifs (2/3)

Une réappropriation américaine ?

l’Elliott Avedon Museum &Archive of Games (Université de Waterloo, Ontario), la première occurrence d’un jeu structuré sur des séries thématiques différentes du jeu de cartes traditionnel, est apparue aux États-Unis, dans la ville de Salem dans le Massachusetts, chez l’éditeur Ives Company, en 1843. Le prospectus intégré à la réédition du jeu The Game of Authors en 1897, publié chez Parker and Sons, toujours à Salem, donne comme date de première édition du premier jeu du genre titré Dr Busby : 1840. Sous réserve d’une autre trouvaille, Dr Busby, serait donc le point d’émergence d’un concept destiné prioritairement à la jeunesse, avec des cartes illustrant quatre membres par famille, le père, la mère, le fils, la fille. Le format américain est celui des cartes à jouer traditionnelles. De plus, il s’agit d’une sorte d’hybride entre un jeu de 52 cartes classique et un jeu des familles. Les chiffres sont en effet maintenus, de même que les lettres correspondant aux valets, dames et rois (Bube, Dame, König), mais les figures traditionnelles de ces « habillées » ont disparu

La première occurrence anglaise et le Happy Family (1851)

Entre éducation et récréation, un support populaire inattendu : les jeux de cartes éducatifs (2/3)

Cette datation de 1840-1843 et les caractéristiques de ce premier jeu américain tendent à relativiser l’événement souvent repris qui a vu l’éditeur John Jaques II (sic) présenter en 1851, à l’occasion de la première exposition universelle qui se tenait cette année-là à Londres, un jeu basé sur onze familles ayant chacune quatre personnages (mother, father, son and daughter) sous le titre de Happy Family (David Parlett, A History of cards games, Oxford University Press, 1991). La première édition de ce jeu de cartes construit sur un principe présenté comme nouveau a été effectuée à Londres en 1860, chez John Jaques & Sons, avec des illustrations de John Tenniel. La série comprenait 44 cartes représentant onze métiers avec, pour chacun, le père, la mère, le fils et la fille, la famille emblématique du jeu étant celle de Mr Block, the Barber et les autres : Bones the Butcher, Bun the Baker, Bung the Brewer, Chip the Carpenter, Dip the Dyer, Dose the Doctor, Grits the Grocer, Pots the Painter, Soot the Sweep, Tape the Tailor (respectivement : barbier, boucher, boulanger, brasseur, charpentier, teinturier, docteur, épicier, peintre, balayeur, tailleur). Il est difficile de savoir de quelle manière l’influence américaine a pu jouer. Il est aussi possible que les deux inventions se soient construites parallèlement.

Entre éducation et récréation, un support populaire inattendu : les jeux de cartes éducatifs (2/3)

Il existe en tout état de cause aujourd’hui en Grande-Bretagne un nombre quasi infini de jeux bâtis sur ce modèle Happy Family, avec les thèmes les plus variés et une certaine propension à l’utilisation de l’image satyrique, voire grotesque. Le Musée de l’enfance de Londres (Museum of Childhood) rend compte du développement au Royaume-Uni des jeux de familles entre 1850 et 1870. Le quartet, dans son aspect culturel apparaît autour de 1870 avec le jeu The Counties of England (les Comtés d’,Angleterre) qui comprend 61 cartes, un record ! Dans la même logique de culture nationale, un autre jeu est édité au tout début du XXe siècle, qui concerne les rois et reines d’Angleterre, de Guillaume 1er à Édouard VII.

À suivre

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