Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Ouh là là ! Ce blog a déjà annoncé il n’y a pas très longtemps la disparition du clergé catholique français et donc un coup fatal porté à la religion apostolique et romaine, au pire en 2035, et voilà qu’on ajoute ici le décès programmé vers la même date de la franc-maçonnerie anglo-saxonne dans les divers pays où elle fut jadis si puissante... Ce blog se spécialiserait-il dans la nécrologie institutionnelle?
Deux ennemis, irréductibles au demeurant, qui disparaîtraient conjointement. On entend déjà les commentaires. Mais comme dans le premier cas, celui du christianisme en France, notre réponse aux vrais et fausses sceptiques est simple: rendez-vous est donné dans un quart de siècle à ces indécrottables mécréants à qui tout matériau statistique lourd et argumenté fait l’effet d’une goutte d’eau posée sur une toile cirée lorsqu’on leur affirme preuves à l’appui que les temples d’Outre-Atlantique ou d’Outre-Manche se vident inexorablement. Espérons qu'ils auront encore tous bon pied bon oeil.
Nous nous appuyons pour annoncer la chute finale de la maçonnerie aux États-Unis et, plus largement, dans le monde anglo-saxon, sur une statistique fournie en ligne par le Masonic Service Association of North America. Le site, auquel nos lecteurs pourront se rapporter, propose également une statistique par État. Rien de plus officiel. La maison-mère communique et ne cache rien.
Si l’on poursuit cette liste de nombres, aussi rébarbative qu’éclairante qui concerne l’ensemble des États-Unis, avec une suite marquant une perte annuelle moyenne de 35.000 maçons, on obtient pour 2020, environ 811.000 membres ; 450.000 pour 2025 ; 100.000 pour 2030 et, à la suite, un point théorique zéro en 2033, soit dans à peine plus d’un quart de siècle.
Le vieillissement des effectifs pourrait participer d’un facteur accélérant de la chute finale. Mais c’est surtout l’évolution de la société qui mine l’adhésion à une structure traditionnelle, croyante et masculine. D’une part l’athéisme et l’agnosticisme progressent, surtout au Nord, mais pas seulement, d’autre part, la mixité de la société en termes de genre fait céder les dernières résistances masculinistes (les clubs service - Rotary, Lyons - qui forment une autre composante de la sociabilité traditionnelle, sont aujourd’hui mixtes). Plus encore, l’atomisation de la société et la montée constante de l’individualisme en partie portées par les technologies de l’information, si elles ne tuent pas la vie associative, défient les engagements à long terme.
Concernant le Canada, (même source), la situation est à peine moins désespérée, les causes de la décrépitude étant peu ou prou identiques.
Avec une perte de près de 3.000 maçons par an, l’année 2020 nous laisse prévoir un effectif maçonnique canadien d’environ 58.000 frères ; 43.000 pour 2025 puis 28.000 pour 2030 ; 13.000 pour 2035, avec un point zéro théorique vers 2043. Il existe certes d'autres obédiences, mais elles sont groupusculaires.
En Grande-Bretagne, un article de l’Independant mis en ligne en août 2016 donne des éléments non seulement sur l’effectif, mais sur la pyramide des âges. Les données présentées par la Grande loge unie d’Angleterre, également compétente pour le Pays de Galles, sources officielles reprises par le journal, indiquent un passage de 8349 loges en 2006 à 7401 dix années plus tard, soit une fermeture d’environ 99 loges par an. Les 270.000 adhérents de 2007 sont passés dans le même laps de temps à 204.775. Rappelons que l'on comptait plus de 500.000 maçons dans l’immédiat après-guerre. Quant au pourcentage de jeunes, il est en décroissance, ce qui n’infirmera pas une prévision de 130.000 membres environ pour 2026 ; de 60.000 dix ans plus tard et un point zéro théorique situé vers 2045.
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Sachant que la situation de déshérence est comparable en Nouvelle-Zélande ou en Australie, c’est l’ensemble de la franc-maçonnerie anglo-saxonne qui n’existera plus qu’à l’état de trace mémorielle d’ici un quart de siècle. Outre ce qui concerne l’histoire sociale de ces pays, il ne faut pas oublier que l’Angleterre fonctionne comme tête de pont, comme lieu d’où part la reconnaissance de toute la franc-maçonnerie qui se veut régulière et que le Suprême Conseil de la Juridiction Sud des États-Unis occupe la même fonction pour les hauts grades écossais. La maçonnerie «régulière» continentale, sa branche française en particulier, risque de se trouver à proprement parler, orpheline sous peu. Comme certains de ses dirigeants sont capables de voir la situation autrement que par le petit bout de la lorgnette et de raisonner autrement qu'à très court terme, on peut parier qu’ils songeront moins que jamais à couper les ponts avec celles et ceux avec qui ils formeront bientôt, vaille que vaille, une sorte d’exception culturelle franco-belge possédant quelques filiales sous d’autres cieux, alors que la maçonnerie anglo-saxonne sera muséifiée, patrimonialisée, avec quelques traces délicieusement vintage....