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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

O tempora, o mores (1/2)

Julien Vercel

Pour certains, les deux articles composant cette série seront disqualifiés parce qu’ils suivraient la loi que Mike Godwin avait énoncée en 1990, à savoir la tendance du réseau internet à faire rapidement allusion à l’époque des dictatures des années 1930. Les autres, plus indulgents, verront dans cette série un simple essai de « Concordance des temps » telle que la pratique Jean-Noël Jeanneney sur France culture.

Épisode 1 : faut-il prendre un « risque collectif » ?

C’est une mode éditoriale, certains auteurs chaussent les lunettes des années 1930 pour faire comprendre et expliquer ce qui se jouerait en France. Citons : Les Années 30 sont de retour : petite leçon d'histoire pour comprendre les crises du présent (de Claude Askolovitch, Pascal Blanchard, Renaud Dély et Yvan Gastaut, Flammarion, 2014) puis Les Années 30. Et si l'histoire recommençait ? (de Farid Abdelouahab et Pascal Blanchard, La Martinière, 2017).

C’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon est comparé à Staline qui, jusqu’en 1934, ordonna aux communistes du monde entier, et allemands en particulier, de concentrer leurs forces à combattre les partis de la « République bourgeoise » en se faisant fort, une fois ces « socio-traîtres » éliminés, d’affronter le dictateur nazi dans un face à face forcément victorieux. Jan Valtin, agent du Komintern en témoigne dans ses mémoires (Sans patrie, ni frontières, Actes Sud, 1997): "Avec la liquidation des socio-fascistes, nous préparons le terrain pour la guerre civile. Nous donnerons alors notre réponse à Hitler sur les barricades". Les événements ont montré, par la suite, que cette stratégie se trompait d’ennemis et c’est précisément cette erreur sur l’ennemi qui nourrit la comparaisons entre 2017 et les années 1930.

Dans une tribune intitulé « Stopper la course à l'abîme », Jean-Luc Mélenchon appelait pourtant à voter Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle de 2002 : « Quelle conscience de gauche peut accepter de compter sur le voisin pour sauvegarder l'essentiel parce que l'effort lui paraît indigne de soi ? Ne pas faire son devoir républicain en raison de la nausée que nous donne le moyen d'action, c'est prendre un risque collectif sans commune mesure avec l'inconvénient individuel » (Le Monde, 26 avril 2002) et il récidive à la télévision le 28 avril 2002 : « Mettez des gants si vous voulez, des pinces ou ce que vous voulez mais votez ! Abaissez le plus bas possible Le Pen ».

Visiblement, les temps changent.

Car, depuis le 23 avril 2017, Jean-Luc Mélenchon est prêt à prendre un « risque collectif » : il ne donne aucune consigne de vote et ne dévoilera pas son vote personnel, renvoyant même dos à dos Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

Sa déclaration, au soir du premier tour, est explicite : « Médiacrates et oligarques jubilent. Rien n’est si beau pour eux qu’un second tour entre deux candidats qui approuvent et veulent prolonger, les deux, les institutions actuelles, qui n’expriment aucune prise de conscience écologique ni sur le péril qui pèse sur la civilisation humaine, et qui les deux comptent s’en prendre une fois de plus aux acquis sociaux les plus élémentaires du pays ».

Les manifestations de lycéens libertaires à Paris, Lyon, Toulouse, Rennes, Dijon et Clermont-Ferrand, le jeudi 27 avril 2017, font la même équivalence entre libéraux et nationalistes avec leur mot d’ordre « Ni Marine, ni Macron, ni patrie, ni patron ». Clémentine Autain pousse, de son côté, la logique d’irresponsabilité en inventant un « néolibéralisme » français : « [Marine Le Pen] vise des personnes affectées par quarante ans de néolibéralisme. Ceux qui nous font de grandes leçons morales aujourd’hui sont responsables du désarroi des catégories populaires » (Libération, 27 avril 2017). Pour « La France insoumise », le second tour, c’est donc « extrême droite » contre « extrême finance » !

Comme le rappelle Chantal Mouffe, pourtant inspiratrice de « La France insoumise » : « La politique n'a pas pour but d'établir des procédures rationnelles pour parvenir à un consensus, ni d'éliminer son ennemi politique comme dans la stratégie révolutionnaire, mais plutôt d'établir les institutions qui vont permettre lorsque le conflit se manifeste qu'il ne prenne pas la forme d'une guerre entre ennemis, mais celle d'une lutte entre adversaires. Alors que les ennemis n'ont aucun espace symbolique commun, les adversaires en ont un, mais qu'ils souhaitent organiser différemment » (Télérama, 15 avril 2017). En se posant comme le seule dépositaire des intérêts d’un « peuple » homogène, unique et unifié et en voulant faire table rase des partis « bourgeois » pour affronter, seul et orgueilleux, le Front national (qui l’a pourtant toujours défait à chaque élection, notamment à Hénin-Beaumont), Jean-Luc Mélenchon n’aurait rien compris à cette différence entre « adversaires » et « ennemis » ?

Marine Le Pen a compris, elle, tout le bénéfice qu’elle peut tirer de ce silence. Elle tente la récupération, reprenant la stratégie adoptée à sa création par le Bloc identitaire: mettre en avant l'affrontement entre le "centre" et la "périphérie", entre le "peuple" et les "élites" (Jean-Yves Camus, "Le Mouvement identitaire ou la construction d'un mythe des origines européennes", La Revue socialiste, n°65, mars 2017). Là voilà qui, dans ses discours, met en avant sa lutte contre la mondialisation et abandonne ses accusations contre « le système » pour se concentrer contre « l’oligarchie » empruntant ainsi le vocabulaire des Insoumis. Florian Philippot félicite Jean-Luc Mélenchon : « Il est juste cohérent et plus courageux que Fillon » (Le Monde, 28 avril 2017)... Comme l’écrit André Burguière, auteur de La Gauche va-t-elle disparaître ? (Stock, 2017) : « On entre dans la marmite souverainiste avec le romantisme populiste d’un Mélenchon ; on en sort ficelé dans l’uniforme du Front national » (Le Monde, 28 avril 2017).

Au fait, en 1934, Adolf Hitler est au pouvoir, le parti communiste allemand, l’un des premiers d’Europe, est persécuté à son tour et Staline révise enfin sa politique internationale. Il prône désormais la stratégie de « front populaire » avec les socialistes et même les radicaux ! Mais ça, c’était avant.

À suivre

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