Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Clément Larchevêque
La place nous manque pour détailler le dernier numéro de la revue du Mouvement anti utilitariste en sciences sociales (MAUSS), n° 49 (295 pages, 26 euros) publié par les éditions de La Découverte et fondée en 1981. Trois parties structurent le dossier : « La religion entre violence et marché », « Théoriser la religion, mission impossible » et « La querelle de la laïcité ».
Dans la grande majorité de ces articles, c’est le mouvement islamique qui est interrogé. Mais le titre n’est pas pour autant la question: « Islam le retour ? ». Du coup, la présentation d’Alain Caillé, Philippe Chanial et François Gautier qui nous expliquent que l’idée de dépérissement des religions, de repli dans les sphères privées serait quelque part mise en échec, semble problématique. Deux mouvements sont en effet à l’œuvre parallèlement, soit dit pour faire (trop) court: le désenchantement du monde et des tentatives de réenchantement. Et quoi qu'il en soit d'une éventuel choc des civilisations, il y a bien choc de ces deux vents contraires.
Affirmer que la sociologie aurait renoncé à comprendre la religion est également pour le moins hasardeux. En tout état de cause disciplinaire, tout se passe comme si un certain type d’intellectuels, pas seulement ceux de ce mouvement au demeurant fort respectable, ne pouvait prendra acte du fait que le dépérissement du religieux était bel et bien à l’œuvre en Occident, y compris dans la partie septentrionale des États-Unis, comme en attestent nombre d’études. La réislamisation des aires arabo-berbère, turque et persane, pour ne parler que d’elles, serait à interroger par rapport à cette situation occidentale à la fois enviée et détestée, menaçante pour tous les clergés, locaux ou étrangers. Le retour du religieux dans le monde slave catholique ou orthodoxe pourrait être l’objet de la même interrogation.
C’est la question de l’universalité du couple laïcité / irréligion, les deux concepts étant certes différents mais intrinsèquement liés, qui est posée en même temps que celle de l’universalité de la démocratie, du féminisme, de la tolérance sexuelle etc. Du coup, si maintien d’une exigence de pensée il y a, il s’agit d’accepter de penser l’autre, mais pas dans une logique irénique. Le titre et le contenu d’un des articles signé Gabriela Patino-Lakatos et Dany-Robert Dufour sont à ce propos fort éclairants : « La religion ou pourquoi les hommes éprouvent-ils l’irrépressible besoin de créer des êtres de surnature ? ». D’une part, rien ne permet d’affirmer que ce type de besoin ne continue pas à reculer sous nos climats, même s’il est loin d’être éteint, surtout dans les couches populaires ; d’autre part, chez les croyants, il y a un héritage de constructions anciennes plutôt que création et espérer une sorte de spiritualisme post moderne agrégatif ne laisse pas de nous étonner.
Signalons enfin que trois articles figurent hors dossier, une interrogation de l’éros mimétique de Marcel Duchamp questionné à la lumière de Bourdieu et Girard (Alain Boton), les formes de la singularisation créatrice entre monde institué et monde instituant (Nicolas Poirier) et une réflexion sur le don, le potlatch et le sacrifice comme formes graduées d’un même investissement social (Richard Bucaille et Jeanne Virieux).