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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Le Mauvais tour joué aux cathos (2/2) : la récupération d’extrême-droite

Julien Vercel

Le « vote catholique » perçu comme un bloc électoral décisif pour la droite relève d’une instrumentalisation de candidats en manque de légitimité, de programme et de cohérence. Mais cette instrumentalisation sert avant tout un discours identitaire entretenu par l’extrême droite en réponse au dynamisme islamique.

La Fin d’un monde ?

Et si les catholiques vivaient le même destin que celui des agriculteurs : autrefois majoritaires et influents, aujourd’hui minoritaires et subissant les évolutions de la société ?

A en croire Jérôme Fourquet, de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), c’est même le « moment où les catholiques se sont sentis devenir minoritaires » qui a été le déclencheur de leur réveil et de leur mobilisation politique. Pour Erwan Le Morhedec, l’invocation régulière des « racines chrétiennes » date du moment où le catholicisme est passé du statut de norme sociale à celui de croyance parmi les autres ! C’est à partir de là que s’est développée ce que Philippe Portier appelle « la communauté imaginée du catholicisme » qui défend l’idée selon laquelle la nation trouverait sa définition culturelle dans le catholicisme, avec le grand débat sur « les racines chrétiennes » et le « roman national ». Cette « communauté » s’inspire du communiste Antonio Gramsci : elle cherche à placer les questions éthiques et bioéthiques au cœur du débat public ; crée des revues et des groupes de réflexion ; tisse des réseaux dans la « cathosphère » numérique et maîtrise parfaitement les réseaux de communication… Elle met en œuvre toute une stratégie d’hégémonie culturelle, moderne dans la communication mais ferme sur les valeurs. D’ailleurs le titre du groupe Sens commun vient d’une citation de Gramsci : « L’idéologie a gagné le jour où elle devient sens commun ».

L’Église institutionnelle n’est pas en reste puisque, par exemple, le cardinal Barbarin a mis en place une cellule intitulée « Noé 3.0 » pour « Nouveaux outils d’évangélisation ». Des plateformes de financement participatif chrétien sont mises en ligne comme CredoFunding, inspirée d’initiatives semblables… et musulmanes. L’accompagnement des femmes enceintes est développé pour empêcher le recours à l’avortement comme à La Maison de Louise à Lyon ! Des lieux de rencontres et de débats s’ouvrent sur le modèle des tiers lieux et des « cafés-philo »…

La tendance masculiniste

Cette minorité est active, mais elle est minoritaire : « On a remplacé le chiffre par la ferveur » reconnaît d’ailleurs Pierre-Hervé Grosjean, curé de Saint-Cyr-l’École. Et, surtout, cette minorité est travaillée par les courants les plus réactionnaires de l’Église, ceux, par exemple, qui organisent des retraites exclusivement masculines et font l’apologie d’une virilité perdue par des hommes dépassés par l’émancipation des femmes. Copiant les « masculinistes » américains, ils se retrouvent entre hommes, avec le Christ donc, mais sans Marie, ni Marie-Madeleine et ils célèbrent l’entre-soi : « J’ai découvert qu’on ne devient pas un homme grâce à une femme mais par son père ou par des références masculines » affirme l’un d’eux (Nathalie Brafman et Cécile Chambraud, « Des catholiques veulent rendre à l’Église sa virilité », Le Monde, 27 décembre 2016). Si les retraites pour hommes existent depuis plus de dix ans, elles sont simplement devenues plus visibles et « tendances » depuis la mobilisation contre la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe dite « loi Taubira » ou « Mariage pour tous ». Les lieux et pèlerinages accueillant ces hommes en questionnement sur leur identité « couillue », pour ceux qui ne parviennent pas à sortir des bras de leur mère puis de leur femme, sont multiples : Paray-le Monial, Cotignac, Saint-Michel, Vézelay, Sainte-Baume…

Selon Nathalie Brafman et Cécile Chambraud, l’auteur de référence est américain : John Eldredge avec son ouvrage Indomptable (Farel, 2015). Dans une lecture très nietzschéenne de la nature masculine, John Eldredge dresse un portrait animal de l’homme qui doit assumer « la force que le Créateur lui donne ». L’objectif étant quand même d’assumer cette force afin d’être « véritablement sûr et doux ». Et les imitateurs français d’enchaîner : « Aujourd’hui, l’homme se cherche entre deux caricatures : la soumission et la domination. Il a peur de ses désirs. Pourtant, il a un désir de combattre pour quelque chose qui le dépasse » (Clément Lescat, cofondateur des camps « Au cœur des hommes ») ou « Il y a une force, une animalité en l’homme qui le pousse à aller vers l’extérieur. Elle doit être canalisée dans le don et la grandeur. Les garçons ont besoin de grandeur » (Arnaud Bouthéon, fondateur de Sens commun). Personne ne dit de quoi ont besoin les filles, sauf que leur simple présence empêche ces messieurs de se réaliser et de s’exprimer. La mixité de notre société est donc condamnée parce qu’elle briderait les hommes.

Les militants masculinistes savent aussi mobiliser l’anti-islamisme pour justifier leur action. Face à un islam de plus en plus visible et intolérant, le manque de virilité individuelle est l’écho du manque de virilité de l’Église, celle issue de Vatican II essentiellement : « L’islam se développe sur ce manque de virilité » (Philippe de Maistre, aumônier du collège parisien Stanislas). Bref pour combattre la réaction islamique, ces catholiques prônent une réaction bien de chez nous !

En effet, comme c'est toujours le cas quand la religion veut gouverner les mœurs et le monde, ce sont d’abord les femmes qui trinquent et les masculinistes rêvent d’un retour à cet « homme-titan » qui se prend pour Dieu, possède les pleins pouvoirs quant à l’organisation des représentations : « Il était né pour faire. Elle était née pour être » (France Théoret, « Image de la violence », in Les Antiféminismes. Analyse d’un discours réactionnaire, éditions du remue-ménage, 2015).

***

L’élection présidentielle de 2017 et le choix du second tour ont confirmé que les catholiques étaient bien divisés politiquement.

Il y a, au centre, le texte de la Conférence des évêques de France (23 avril 2017), texte bien modeste, sans consigne de vote très claire, qui souhaite seulement « donner à chacun des éléments pour son discernement propre » et appelle à « construire une société plus juste, plus fraternelle dans ses diversités et plus respectueuse de chacun ». Oui, on dirait le style « entre les lignes » des obédiences maçonniques ! Georges Pontier, archevêque de Marseille, défend cette position en tant que président de la Conférence des évêques de France : « Le rôle de l’Église est, plus que jamais, de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre candidat mais de rappeler à chaque électeur ce que notre foi nous invite à prendre en compte » et Laurent Stalla-Bourdillon, aumônier des parlementaires, de justifier : « On ne peut d’un côté brandir la laïcité pour exclure les prises de position de l’Église lorsqu’elles dérangent et d’un autre côté en appeler à l’Église catholique pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être ! » (La Croix, 4 mai 2017). Et tant pis si, jeudi 4 mai 2017, les trois dirigeants des cultes protestant, juif et musulman rendent publique une déclaration d’une autre portée : « Bien conscient que nos fonctions nous obligent à la neutralité politique, mais avant tout citoyens responsables, nous appelons donc clairement à voter pour Emmanuel Macron dimanche 7 mai prochain ».

D’un côté, des évêques ont quand même pris la parole pour s’exprimer plus clairement : Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, dénonce le populisme sur les réseaux sociaux dès le 24 avril et Marc Stenger, évêque de Troyes, ne cite toujours pas le Front national, mais il twitte : « Le 7 mai, quel vote ? Pas celui de la peur, de la haine, du rejet, du mensonge de l’exclusion, du repli : c’est l’opposé de l’Évangile » (26 avril 2017) avant d’accorder un entretien encore plus explicite à Libération : « Avant de déposer son bulletin dans l’urne, un chrétien doit se rappeler que des principes évangéliques sont clairement bafoués dans le programme et des discours tenus par une candidate à cette élection (…). Tout ce qui est de l’ordre de la discrimination, du repli sur soi, de la division va à l’encontre de l’Évangile » (4 mai 2017).

D’un autre côté, Christine Boutin se range derrière Marine Le Pen, La Manif pour tous dit « non » à Emmanuel Macron et Sens commun refuse de choisir !

Et Erwan Le Morhedec de pointer l’oubli du message du Christ au profit de la folklorisation de la religion : « Ce christianisme identitaire, féru de passé glorieux, de cimetières et de vieilles pierres, dévitalise et stérilise le christianisme pour en faire une référence culturelle comme une autre. Ce sont nos clochers réduits à la décoration de nos villages. C’est la crèche en cochonnaille de Fabien Engelmann [le maire d’Hayange] ». Un décidément bien mauvais tour.

SOURCES :

Brafman Nathalie et Chambraud Cécile, « Des catholiques veulent rendre à l’Église sa virilité », Le Monde, 27 décembre 2016

Dupui-Déri Francis et Lamoureux Diane (sous la dir.), Les Antiféminismes. Analyse d’un discours réactionnaire, éditions du remue-ménage, 2015

Fourquet Jérôme, entretien, L’Obs, 15 décembre 2016

Fourquet Jérôme et LE BRAS Hervé, La Guerre des trois. La primaire de la droite et du centre, Fondation Jean Jaurès, janvier 2017

Funès Nathalie, « La Résurrection des catholiques » L’Obs, 15 décembre 2016

Galembert Claire (de), « Un catholicisme otage de la campagne présidentielle », theconversation.com, 6 mai 2017

Le Morhedec Erwan, Identitaire : le mauvais génie du christianisme, éditions du Cerf, 2017

Portier Philippe, entretien, L’Obs, 15 décembre 2016

Raison du Cleuziou Yann, « Succès de François Fillon : le vote ou les votes catholiques ? », Esprit, 30 novembre 2016

Stenger Marc, entretien, Libération, 4 mai 2017

Tarlé Antoine (de), « Les Enjeux du vote catholique », telos-eu.com, 20 mai 2017

Terra Paul, « Cathos à Lyon. La nouvelle vague », enquête, Lyon Capitale, janvier 2017

Tirard Didier, « ‘Gaulliste’ et ‘chrétien’, du brouillage sur la ligne public-privé », theconversation.com, 12 janvier 2017

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L
Oups!<br /> Dans mon commentaire précédent il faut lire évidemment: "interpellé par ce système de retraite uniquement masculine pour retrouver une masculinité".<br /> Mille excuses! (mais s'excuser n'est-ce pas faire parler sa part de féminité?........un peu d'humour bien sûr!).
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L
Deux petites remarques. D'abord est-on vraiment sûr que le nom de "Sens commun" vient bien de cette citation de Gramsci? Certes cela vient bien dans le développement et vient bien appuyer cettea thèse. Mais ça serait bien d'en dire un peu plus. Sens commun s'en est-il expliqué? Où? Quand? Comment? Bref, ça serait bien de citer les sources, les documents qui en attestent, les gens qui s'en réclament.<br /> Ensuite je suis assez troublé ou en tout cas interpellé par ce système de retraite uniquement masculines pour retrouvé une masculinité, une virilité perdue pour cause de (supposée?) trop grande liberté féminine.<br /> J'ai l'impression d'y retrouver certains arguments qui nous ont été servis à nous, frères du G.O.D.F. lors de nos débats internes sur la féminisation qui se pointait alors dans l'obédience.<br /> Car en fait, nos tenues, d'une certaine manière ne sont-elles pas des retraites uniquement masculines aussi? Inconsciemment ou pas pour préserver aussi notre pauvre petite masculinité bien fragile qu'il faut préserver vaille que vaille?<br /> Et certains rigides en la matière de chez nous sont-ils vraiment si éloignés de ces tenants de la masculinité sauce catholicité+repli sur soi+ défense des valeurs traditionnelles?<br /> J'observe également que côté musulman, la rigidité masculine se conjugue aussi assez bien avec une radicalité certaine.<br /> Juste deux petites réflexions à chaud, après lecture de cette très intéressante analyse.
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J
Ma source est Jérôme Fourquet (IFOP):<br /> http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20161213.OBS2619/catholiques-tout-a-change-quand-ils-ont-commence-a-se-sentir-minoritaires.html
P
Le chant du cygne
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