Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Le quadrimestriel coédité par la Découverte et Mediapart vient de sortir son numéro 7, daté de juin (160 pages, 15 euros). Nous avons déjà rendu compte des premiers numéros en octobre 2016.
Cette revue est en train de prendre place dans le cercle très fermé des périodiques dont le style et le contenu sont à cheval sur le journalisme de qualité et la littérature académique, comme Esprit, Le Débat, Commentaire ou Études, avec une caractéristique supplémentaire pour ce Crieur, la variété et l’originalité des sujets traités.
Pour donner une idée du projet qui est à l’oeuvre, citons un passage de l’éditorial de cette dernière livraison qui parlera à nos lectrices et lecteurs : « Impossible de dire ce qui sortira de ce vaste charivari entre recyclage du vieux monde et émergence d’un nouveau, aggravation des dangers ou surgissement d’un espoir. Mais dans tout les cas, il met au défi les tenants de l’émancipation, des combats pour l’égalité et des luttes pour la fraternité, car il les oblige à repenser leur vision et leur pratique de la politique ».
Pas moins de dix articles sont proposés dans ce numéro, plus un remarquable reportage photographique intitulé « Vendetta » que Guillaume Herbaut a consacré à la terrible loi de la vengeance toujours en vigueur et même réactivée en Albanie après la chute du régime communiste, un des fils rouges de l’œuvre d’Ismail Kadaré, malédiction qui toucherait actuellement quelque 10 000 familles.
Un texte intéressera particulièrement les maçonnes et les maçons, tout au moins certains d’entre eux, celui que signe Nicolas Marquis sur « Les limites du développement personnel ». Ce thème a dépassé sur le marché de l’édition les ouvrages de psychologie et de psychanalyse. Les manuels de bien-être pullulent, prônant une attitude positive, tout en s’inscrivant parfaitement dans la logique libérale, dans une société où l’individualisme règne en maître. L’auteur nous explique que cette mode a été installée par des Américains marqués par le puritanisme qui ne supportaient pas que la sexualité joue un rôle central dans la logique de l’inconscient et lui ont substitué un « élan vital ». Au passage, le poids des déterminations sociales disparaît au profit d’une responsabilité personnelle. « L’avenir d’une illusion » disait Freud à propos de la religion…
Gildas Le Dem s’intéresse quant à lui au débat qui s’est développé depuis quelques mois sur la question de l’intersectionnalité, « une notion qui dérange et un concept fécond accusé d’être abscons ». Cette conception, qui peut être élargie, s’est construite à partir de la double pression subie par les femmes noires ou hispaniques, aspect que trop de féministes blanches (ou blancs) refusent de prendre en compte, au nom d’une conception universaliste du combat émancipateur. Gildas Le Dem considère cette attitude comme une excuse irrecevable dans l’état de la délicate dialectique du général et du particulier, appliquée aux processus libérateurs. C’est ce que les marxistes appelaient les contradictions principales et secondaires et qui revient aujourd’hui en force.
Le sommaire comprend huit autres articles, tout aussi intéressants les uns que les autres dont nous ne pouvons ici que donner le titre, faute de place : « Quand les ultra-riches se préparent au pire, reportage sur les survivalistes de la Silicon Valley » (Evan Osnos) ; « Le centre Pompidou, une utopie rouillée, dans les tuyaux d’une usine culturelle sous pression » (Bernard Hasquenoph et Marion Rousset) ; « Quand le rap tue vraiment, dix-huit mois dans un gang de Chicago » (Forrest Stuart) ; « Ce que pensent (vraiment) les djihadistes, sur une controverse qui ne veut pas finir » (Laurent Bonnefoy) ; « Ce qu’il reste des citoyens du monde, forces et faiblesses d’une utopie internationaliste « (Isabelle Mayault), « Les déchirements du spectacle vivant, théâtre, danse, cirque, musique, arts de la rue… se réinventer ou disparaître » (Valérie de Saint-Do) ; « De Dubaï au Qatar, la culture asservie, comment les régimes autoritaires du Golfe tentent de se racheter une virginité » (Antoine Pecqueur et Céline Portet) ; « Les humanités numériques, gadget ou progrès ? Enquête sur une guerre souterraine au sein de la recherche » (Pierre Mounier).
Un seul regret, au-delà de l’esthétique volontairement moderne de la mise en page, le fait que les notes soient reléguées en fin d’article et, difficulté supplémentaire de lecture, soient imprimées en rouge. Il en va de même pour les exergues qui sentent le PowerPoint. À ne pas vouloir faire académique, on finit paradoxalement par perdre en lisibilité.
Le prochain numéro du Crieur, à ne pas manquer, est annoncé pour octobre. L’abonnement concernant trois numéros annuels est proposé à 43 euros pour la France.