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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

À propos de « Ovnis sur la France, des années 1940 à nos jours. Apparitions et chercheurs privés » de Manuel Wiroth

Denis Andro

 

 

 

Ce livre publié aux éditions JMG-Le Temps Présent (2017), est issu d'une thèse d'histoire soutenue à Lyon en 2016. L'auteur a exploré les réseaux privés (ceux des soucoupistes ou comme on les nomme aujourd'hui des ufologues) et officiels (l'histoire des recherches des services de l'État, dont celle du service du Centre national d’études spatiales (CNES) dédié à ce sujet, l'actuel Groupe d'étude et d'informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (GEPAN), fera l'objet d'un second tome) qui se sont consacrés en France, depuis la fin des années 1940, à l'étude de ce que l'on a tour a tour appelé « mystérieux objets célestes », soucoupes volantes, objets volants non identifiés (OVNI) ou « phénomènes aériens non identifiés » (PAN). Outre la bibliographie existante, universitaire ou interne au domaine, Manuel Wiroth a consulté des fonds d'archives spécialisés (ainsi ceux déposés aux archives nationales ou à des archives départementales par l'association ufologique « Sauvegarde et conservation des études et archives ufologiques » ou SCEAU). Il a aussi recouru à des entretiens avec des acteurs de la scène ufologique (comme Joël Mesnard, né en 1943, longtemps responsable de la revue, fondée en 1958 et toujours existante, Lumières dans la nuit, ou Gilles Durand, né en 1955, du SCEAU). Les contacts directs ont cependant été limités, l'auteur résidant durant la rédaction de sa thèse non en métropole, où il a pu cependant numériser des documents, mais entre la Réunion et Wallis-et-Futuna.

 

L'objet de Manuel Wiroth n'est pas, précisons-le, de faire l'inventaire des phénomènes observés ; il revient cependant rapidement sur l'histoire contemporaine de l'observation de ces cas insolites : foo fighters ou boules feu accompagnant des avions alliés ou de l'Axe durant la seconde guerre mondiale, « fusées fantômes » aperçues en 1946 traversant la Scandinavie mais sans laisser guère d'autres traces qu'une sorte de mâchefer, puis les premiers objets à la forme de disques aperçus aux États-Unis en 1947, et la fameuse « vague » de 1954 en France, avec de nombreux exemples rapportés par la presse régionale. Il décrit comment va se construire, en France, un intérêt d'abord individuel puis collectif à travers une riche vie associative, notamment dans les années 1970, apogée de cette « recherche » : la France comptera alors des centaines d'associations ufologiques. Comme Thibaud Canutti, l’auteur de Histoire de l'ufologie française. 1 : Le temps des soucoupistes (Le Temps présent, 2011), il mentionne les liens entre certains premiers soucoupistes des années 1940 et 1950 et l'ésotérisme, de la revue Atlantis notamment avec Marc Thirouin (1911-1972) de la Commission Ouranos, une des toutes premières entités d'étude des ovnis en France. En revanche, le rôle d'introducteur en France de Krishnamurti par René Fouéré (1904-1990), directeur de la revue Phénomènes spatiaux, ou l'appartenance un temps à l'Ancien et mystique Ordre de la rose-croix (AMORC) de Jacques Vallée (né en 1939) ne sont pas mentionnés. Un journal pionnier, le Courrier interplanétaire (1954-1969) d'Alfred Nahon (1914-1990), affichait par ailleurs une sensibilité mondialiste et anti-atomique, dans cette période profondément marquée par Hiroshima, qu'il aurait été intéressant d'explorer. Dans les années 1960 et 1970 arrive une seconde génération, entrée très jeune dans le domaine (parfois dès l'âge des 13 ans, comme Thierry Rocher, né en 1960) à travers la lecture des livres des premiers, parmi lesquels on compte aussi Aimé Michel (1919-1992, auteur de Lueurs sur les soucoupes volantes, Mame, 1954, avec une préface de Jean Cocteau et de Mystérieux objets célestes, Arthaud 1958), ou l'écrivain de science-fiction qui finira par se discréditer en donnant foi à un canular, Jimmy Guieu (1926-2000, auteur de Les Soucoupes volantes viennent d'un autre monde, Fleuve noir, 1954 et de Black-out sur les soucoupes volantes, Vaugirard, 1956).

 

Quelques traits peuvent être dégagés : les ufologues s'intéressent souvent également à la science-fiction, certains en sont des auteurs : Jacques Vallée, sous le pseudonyme de Jérôme Sériel, publie ainsi chez Denoël dans la collection « Présence du futur ». Une part non négligeable d'entre eux a une vocation scientifique (astronomie, aéronautique), dont ils feront parfois leur métier : Jacques Vallée, astronome qui émigrera aux États-Unis, le physicien du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Jean-Pierre Petit (né en 1939), l'astrophysicien Pierre Guérin (1926-2000). Ils ont souvent, également, un intérêt pour le paranormal : plusieurs ont ainsi collaboré à l'Institut métapsychique international (IM). Enfin, on compte parmi eux des militaires, ainsi dans le Groupe d'étude des phénomènes aériens (GEPA) de René et Francine Fouéré. Une troisième génération, enfin, participe à ce domaine depuis les années 1990, en délaissant souvent la tradition ufologique de l'enquête de terrain au profit de l'usage d'internet, avec ses intérêts et ses limites (trucages démultipliés de photos ou de films, etc.). L'auteur fait cependant référence à certaines sources internet de bonne qualité.

L'ufologie entend, à partir d'enquêtes et de l'analyse d'observations faites par des témoins, exploiter le matériau collecté ; elle recourt aussi à des hypothèses. L'auteur en identifie quatre :

 

- l'hypothèse militaire (avec l'idée d'armes secrètes de puissances étrangères, rapidement abandonnée compte tenu des performances fantastiques des engins observés ou supposés observés) ;

 

- l'hypothèse extraterrestre (HET) qui a longtemps été hégémonique et se décline elle-même en plusieurs sous-catégories (les engins seraient pilotés par des ufonautes venues d'autres planètes ou bien ce sont des engins automatiques, etc.) ; est évoquée également l'idée de visites anciennes de la Terre (théorie des « anciens astronautes » ou néo-évhémérisme selon l'expression du sociologue Jean-Bruno Renard) ;

 

 -en troisième lieu l'hypothèse paranormale (HPN), avec Jacques Vallée notamment, qui avance l'idée d'une dimension inconnue d'où proviendraient les ovnis, la « Magonie » (dans son ouvrage : Passport to Magonia. On UFOs, Folklore, and Parallel Worlds, 1969, version française : Chronique des apparitions extraterrestres, J'ai lu, col. « l'aventure mystérieuse », 1974), avec l'« hypothèse Gaïa » assimilant la Terre à un organisme s'auto-régulant ; ou avec Jean Sider (né en 1933) défendant l'idée étonnante d'entités fluidiques vampirisant l'énergie humaine ;

 

- enfin l'hypothèse psycho-sociologique (HPS), qui rejoindra parfois les critiques des sceptiques extérieurs, eux, au domaine, comme l'Union rationaliste ou les zététiciens : pour les tenants de l'HPS les observations sont des méprises (rentrées atmosphériques de satellites, météorites), des phénomènes atmosphériques rares (nuages lenticulaires, foudre en boule) ou des canulars. Les représentations sociales peuvent également intervenir. Cette hypothèse va contribuer à mettre en crise profonde le milieu, d'autant plus qu'elle émane, à la fin des années 1970, de jeunes, les « nouveaux ufologues » d'abord tenants de l'HET (Michel Monnerie, né en 1940, pourtant d'abord membre de la revue Lumières dans la nuit (LDLN), il est l’auteur du premier livre de ce courant : Et si les OVNIS n'existaient pas ? Les Humanoïdes associés, 1977 (on peut aussi citer : Thierry Pinvidic  (sous la direction de), OVNIS: vers une anthropologie d'un mythe contemporain, Heimdal, 1993). Elle suscitera interrogations, amertume et parfois abandon de la recherche. Une certaine lassitude, bien différente de l'enthousiasme des débuts, gagnait aussi alors les uns et les autres face au manque de réponse devant l'énigme des ovnis. Pour couronner le tout, la culture ufologique est emprunte de traits assez paranoïaques (ainsi avec le thème, partagé par beaucoup, du « cover-up » des États face à l'existence supposée des ovnis, quand ce ne sont pas des scénarios encore plus sombres et carrément échevelés). Dans ce contexte, certains, comme Jacques Vallée, sont soupçonnés par d'autres d'avoir contribué à la désinformation étatique. L'ufologie a pu cependant, quoique affaiblie -beaucoup d'associations disparaissent dès le début des années 1980- perdurer jusqu'à nos jours et, selon l'auteur, sa mise en cause par l'HPS a contribué à mieux vérifier les cas étudiés.

 

Ayant ainsi balisé le décor, l'auteur décrit cette vie associative, parisienne pour le GEPA par exemple, dont les réunions se font d'abord, en 1964, dans les locaux de la revue Planète, sur les Champs-Elysées, puis dans une salle du lycée Rodin dans le 13 ème arrondissement, dont le proviseur est membre de l'association. C'est une époque, du reste, où des collégiens et des lycéens font des exposés sur les ovnis et parfois enquêtent avec leurs enseignants. La vie associative ufologique est aussi et peut-être surtout locale ou régionale (exemple de l'intéressant Comité Nord-Est des groupes ufologiques-CNEGU, dans l'Est, à tendance sceptique ; et qui compte plusieurs femmes, ce qui n'est pas toujours le cas dans ce milieu). L'auteur évoque les tentatives de fédérations à travers la France (Fédération française d'ufologie, FFU) ou de comités régionaux regroupant les passionnés avec la disparition des associations ; ces dernières avaient pu avoir, dans les années 1970, une véritable vitalité : « Vérifications et études sur les rapports d'ovnis pour Nîmes et la contrée avoisinante » (VERONICA) a par exemple compté jusqu'à 200 membres et ce, pour une petite ville de province (p.333) ; le GEPA comptait alors plus de 500 membres, et LDLN, dont le tirage était de plusieurs milliers d'exemplaires, avait un réseau de 2000 enquêteurs : Manuel Wiroth évoque les moyens et les méthodes utilisées pour former des enquêteurs avec des « guides de l'enquêteur », ou des bases de données des cas pour chercher des corrélations. Les ufologues se saisissent vite des nouvelles technologies (CB, minitel, internet, informatique) pour communiquer entre eux et mettre sur le métier les données collectées. Les enquêtes elles-mêmes suivent des protocoles souvent rigoureux (déplacements sur le site, entretiens avec le témoin, le voisinage, la gendarmerie, dans le café du village, relevés très précis sur l'observation) sur des sites parfois également investigués par des journalistes ou par l'armée (cas de Marliens, avec traces au sol, en 1967, p. 359).

 

L'auteur évoque les tentatives difficiles des ufologues pour se faire reconnaître par les médias (ce fut cependant le cas dans les années 1970 avec Jean-Claude Bourret notamment et une série d'émissions sur France Inter) et surtout par les scientifiques, ou encore les « veillées d'observation » du ciel, les voyages d'études dont l'un pour étudier les crop-circles en Angleterre de 1989 à 1991 par le groupe Voyage d'étude des cercles en Angleterre (VECA) qui a donné lieu à des publications où ces ufologues français démontrent l'origine humaine des crop circles (Gilles Munch, Crop Circles. Le rapport  VECA, Ed. Sceptic OVNI, 2012), ou les « repas ufologiques » en place à Paris, en province et maintenant à l'étranger (Argentine, Afrique), repas avec exposés d'invités dont Gérard Lebat (né en 1949) a été l'initiateur sous leur forme actuelle. Indiquons au passage que les liens entre l'ufologie et le phénomène des « contactés » existent (exemple de l'association « Groupement de recherche et d'étude du phénomène OVNI »-GREPO) fondée dans le Vaucluse par le contacté Pierre Monnet, 1932-2009), mais qu'ils restent assez rares. Rappelons que les « contactés » dont le plus célèbre est l'Américain George Adamski (1891-1965), sont supposés avoir reçu des messages d'extra-terrestres, avoir été invités à voyager dans leur planète, etc (Marc Hallet, ancien adamskiste belge devenu sceptique: Le Cas Adamski, L'Oeil du Sphinx, 2010).

 

Manuel Wiroth aborde également  les controverses entre sensibilités, parfois entre personnes (ainsi autour des phénomènes supposés du Col de Vence), et la question décisive de la relation entre croyance et science : citant à ce propos le sociologue spécialiste de l'ufologie Pierre Lagrange, l’auteur. mentionne que les ufologues font parfois preuve de plus d'esprit scientifique que certains scientifiques hostiles qui sont, eux, dans la croyance scientiste. On pourrait ajouter que certains ufologues non scientifiques de métier sont parfois plus prudents que des ufologues scientifiques de profession qui ont adhéré à des thèmes à notre sens fumeux (comme Jean-Pierre Petit avec celui des Ummites, supposés habitants d'une planète infiltrés parmi les Terriens et qui auraient adressé durant des décennies des lettres à des ufologues). Les cartes sont ainsi redistribuées, ce qui est un des mérites de l'ufologie. Par ailleurs, comme l'auteur le mentionne, la découverte d'exoplanètes rend aujourd'hui l'hypothèse de formes de vie extraterrestres beaucoup moins improbable que naguère, même si, évidemment, la question de la distance a priori infranchissable avec la Terre reste entière.

Avec d'autres travaux universitaires ou de passionnés, le livre de Manuel Wiroth contribue à la connaissance de l'histoire foisonnante de ce courant ; c'est également avec intérêt qu'on lira le prochain tome, consacré aux recherches officielles.

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