Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
Ce titre pourrait laisser penser que les deux grandes tendances de la maçonnerie française, avec toutes les hybridations possibles et imaginables, produiraient livres et revues à peu près à égalité, de manière à régaler et cultiver toutes les maçonnes et maçons de France et de Navarre. Pourtant, ce n’est certes pas demain, à moins que la situation change brusquement, que nous serons en état de présenter l’équivalent -qui nous ressemblerait davantage- de la petite galerie qui suit. Que les choses soient claires, nous ne répugnons pas à rendre compte de ce que les éditeurs nous confient aimablement pour lecture et recension. Nous prenons le monde tel qu’il est. Tout au plus pouvons-nous souligner un décalage criant et souhaiter un changement d’équilibre.
Tarot et franc-maçonnerie de Thomas Grison
Commençons par deux petits ouvrages de Thomas Grison. Le premier traite de Tarot et franc-maçonnerie (Maison de vie, n° 78, collection « Les Symboles maçonniques », 10,90€). Le spécialiste de l’iconographie religieuse qui a déjà publié à La Hutte un ouvrage sur Le Tarot de Marseille estime qu’une certaine maçonnerie symboliste peut aller chercher du grain à moudre dans la longue tradition du tarot, tout en appréciant sur un plan esthétique la qualité du travail des maîtres cartiers. En choisissant plusieurs figures connues, le bateleur, le monde, le pendu, l’ermite, le soleil, le charior (sic), la roue de la fortune, le mort, le fol... il recherche des analogies avec la démarche maçonnique et les réflexions que peuvent inspirer les rituels, dans une vison certes spiritualiste, mais aussi synthétique, puisque les archétypes, l’alchimie, l’ésotérisme et l’hermétisme ne manquent pas d’être convoqués. Jung n’est pas loin. Signalons que l'auteur a été le grand ordonnateur du premier salon du livre maçonnique de Nantes qui s'est tenu avec succès les 9 et 10 décembre.
Le livre de Bazalliell, petit recueil de sagesse à l’usage des francs-maçons de Thomas Grison
Du même auteur Le livre de Bazalliell, petit recueil de sagesse à l’usage des francs-maçons (éditions de la Hutte, 15€). Sous le nom proche de Betsaléel, le personnage que Thomas Grison nous présente figure dans les célèbres manuscrits Graham de 1721 comme une sorte de préfiguration d’Hiram. C’est une manière de conte dans lequel le personnage, fils de Uri, fils de Hur, voyage que l’auteur propose à un lectorat qui retrouvera toutes les figures centrales du corpus maçonnique dans un registre poétique. Une phrase résumera le ton du livre : « Ami, ton équerre est comme une lampe dans la nuit ! Qu'elle soit le signe de la rectitude qui dirige les travaux, et de la réconciliation qui doit régner en ton temple ! Ainsi travaille toujours pour que soit à nouveau réuni ce qui auparavant était séparé, de sorte que tout ce qui va par deux ne soit plus qu'un désormais, la droite et la gauche, le dedans et le dehors, le haut et le bas, le soleil et la lune ».
Arcanes et rituels de la maçonnerie égyptienne de Serge Caillet
Plus imposants, quantitativement parlant, sont les deux ouvrages qui suivent : Serge Caillet s’est attaqué à une synthèse en tout de même 300 pages des Arcanes et rituels de la maçonnerie égyptienne (Dervy, 23€). Ce grand spécialiste de l’histoire de l’occultisme et des sociétés initiatiques a déjà publié des ouvrages dédiés aux rosicruciens et au martinisme. Il se consacre ici aux familles maçonniques, certes divisées, mais à l’imaginaire commun de Memphis et/ou Misraïm. Après un premier essai sur ce thème en 2003, Serge Caillet élargit son propos en allant chercher des publications introuvables de Jean-Étienne Marconis, le fondateur du rite, mais aussi un rituel féminin qui fut rédigé au début du XXème siècle par Constant Chevillon, refondateur du martinisme. Après un bref historique, l’auteur présente les rituels d’apprenti, de compagnon et de maître, établis entre 1820 et 1839. Il poursuit avec un « tuileur universel des trente-trois degrés, premiers grades du rite de Memphis-Misraïm » de 1839. Viennent enfin, les degrés qui peuvent faire envie à celles et ceux que leur Rite écossais ancien et accepté (REAA) arrête à la 33e marche : Sage des pyramides (1860), Sublime maître du Grand œuvre, Patriarche grand consécrateur, Très sage israélite prince, 70ème degré du rite de Misraïm, Grand inspecteur intendant, régulateur général, 77ème degré et les Arcana arcanorum qui montent jusqu’à 95 ou 99 selon les variantes. L’ouvrage se termine avec le rite des Dames. Quoi que l’on pense de tels intitulés, la maçonnerie égyptienne aura incontestablement enrichi le patrimoine et l’imaginaire symboliques maçonniques et les aura, quelque part et aussi paradoxal que cela puisse paraître, laïcisés en cassant l’unicité du référent biblique.
Martinès de Pasqually. Un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIème siècle fondateur de l’ordre des Élus Coëns de Michelle Nahon
Autre forme de maçonnerie marginale -soit dit sans aspect péjoratif-, celles des élus Coëns fondés au XVIIe siècle par Martinès des Pasqually (1727-1774). Michelle Nahon publie sur ce personnage et son organisation qui constituent l’une des sources du Régime écossais rectifié (RER), une deuxième édition revue et complétée d’un ouvrage paru en 2011. Cette nouvelle mouture, Martinès de Pasqually. Un énigmatique franc-maçon démiurge du XVIIème siècle fondateur de l’ordre des Élus Coëns, bénéficie d’une préface de Jean-Claude Drouin et d’une postface de Roger Dachez. L‘auteure est présidente de la société Martinès de Pasqually et son travail fait le point précis des connaissances sur un homme dont on ne connaît pas encore précisément quelles furent ses sources. Il fut partisan d’une relecture de la Bible, mais aussi d’un rapport autant physique que mental à la divinité, la fameuse théurgie. De Bordeaux à Paris, en passant par Toulouse, il semble avoir agi dans la pénombre et, paradoxalement avec un certain charisme, laissant des traces encore sensibles aujourd’hui. Ces dernières années, grâce à des archives retrouvées en Biélorussie, on en sait davantage sur ce que fut l’activité de Martinès à Bordeaux et à Toulouse, plusieurs manuscrits de son Traité de réintégration des êtres étant sortis des limbes, ainsi qu’un rituel d’équinoxe, par lui rédigé. De quoi pouvoir prédire quelque avenir à cette maçonnerie chrétienne et frisant l’hérésie. Qui sait si elle ne survivra pas aux Églises catholique et protestante.
La Kabbale, une brève introduction de Joseph Dan
À signaler également La Kabbale, une brève introduction, de Joseph Dan (Jean-Cyrille Godefroy, 15€). Traduit de l’anglais par Stéphane Krief, cet ouvrage présente successivement le terme de Kabbale et ses significations, le mysticisme juif ancien et l’émergence de ce type de recherche, le renouveau de cette pratique au moyen-âge et les principaux courants établis à cette époque. Puis il traitre dans la période moderne avec la Kabbale chrétienne, le Safed et la Kabbale lourianique, sans oublier le mouvement messianique, avant d’en venir aux diverses étapes du hassidisme et de s’arrêter sur les aventures contemporaine de la Kabbale, notamment dans la nébuleuse du New Age. Dans la conclusion de son ouvrage très rigoureux et bien construit, Joseph Dan se penche sur sept éléments de contexte : le cadre historico-universitaire ; l’histoire religieuse et intellectuelle ; les cercles ésotériques, spiritualistes set occultistes ; le judaïsme orthodoxe ; les cercles d’étude et même les guérisseurs israéliens ; les groupes issus du New Age. En un mot comme en cent , une belle synthèse.
Méditations sur l’espace et le temps maçonniques dans le rite écossais ancien et accepté de Jean Bartholo
Autre ouvrage que nous avons reçu, dû, celui-ci, à la plume de Jean Bartholo, des Méditations sur l’espace et le temps maçonniques dans le rite écossais ancien et accepté paru aux éditions Télètes (20€). En s’attachant aux trente-trois degrés, l’auteur définit trois traditions : la cosmique qui recouvre les trois premiers, la prophétique qui concerne les degrés allant du quatrième au quatorzième, la messianique qui finit le parcours. Un tel vocabulaire signe une appartenance à un courant quasi religieux, à moins que les mots ne veuillent plus rien dire. Mais tout un chacun est libre de ses méditations dont il ne faut certes pas médire, cela ferait rire jaune. Comme le disait Lacan à la fin de Télévision, puisant davantage dans l’almanach Vermot et dans Boileau que dans Freud : « le médit installé dans son ocre réputé, il n’est point de degré du médit-ocre au pire ».
La Franc-maçonnerie de tradition en France de quatre obédiences
Pour en terminer avec ce petit panorama, citons l’ouvrage collectif qui vient d’être réalisé en collaboration par quatre obédiences : la Grande loge de France (GLDF), la Grande loge féminine de France (GLFF), la Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra (GLTSO) et la Grande loge de l’alliance maçonnique française (GL-AMF) : La Franc-maçonnerie de tradition en France. Rien de bien original dans le contenu dans ce livre qui vient de paraître aux éditions Numérilivre (10 €) et qui est ainsi annoncé : « Le paysage maçonnique est pluriel. À côté d’obédiences dites libérales ou sociétales qui interviennent dans le débat public, la voix des obédiences de tradition n’est guère entendue et l’originalité de leur démarche reste largement méconnue. Et pourtant, celles-ci représentent les deux tiers des maçons et maçonnes de France partageant la même fraternité initiatique. Présenter la franc-maçonnerie de Tradition, ses principes et ses valeurs, son actualité et son importance, tel est l’objet de cet ouvrage dû à l’initiative de quatre Grandes loges ».
On se demandera tout de même en incidente ce que pourront penser d’un pareil équipage les maçonnes de rite français de la GLFF. Elles ne seront sûrement pas très heureuses de constater qu’elles ne sont pas classées dans les « obédiences dites libérales ou sociétales ». Et, in fine, que dire de la GLFF qui ne cesse -et à fort juste titre- d’intervenir dans le débat public, jusqu'à donner en pleine polémique sur l'écriture et le genre un prix à Eliane Viennot ? Joue-t-elle volontairement des contraires ? Ou les sœurs en robe noire travaillent-elles, comme cela a déjà été souligné, la souplesse jusqu’à l’exercice périlleux du grand écart ?