Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Jean-Pierre Bacot
La revue Planète aura vécu de 1961 à 1968 et Le Nouveau planète de 1968 à 1971, soit à peine une décennie. Auparavant, les deux principaux animateurs de cette aventure à la fois éditoriale, culturelle et idéologique, Jacques Bergier et Louis Pauwels avaient publié chez Gallimard, en octobre1960, Le Matin des magiciens, annoncé comme une introduction au « réalisme fantastique » et dont le succès fut immense. En un mot comme en cent, cette entreprise éditoriale peut être considérée comme ayant marqué un moment de réenchantement, dans la mesure où il s’agissait de montrer que le surréel agissait sur le réel.
Pour revenir brièvement sur ce qui a été souvent développé sur ce blog, l’écroulement des religions -et singulièrement du catholicisme français- était déjà patent en 1968 en termes d’effectif du clergé, comme d’influence sur les populations. Parallèlement, ce que l’on peut rapidement définir comme un rationalisme qui n’est pas incompatible avec une gestion de l’imaginaire, notamment en littérature, n’était pas encore très puissant. Entre les deux s’est construit une sorte de marécage qui est peut-être encore plus large aujourd’hui et qui est composé essentiellement d’orphelins de la religion, mais non de la croyance.
Jacques Bergier, né Yakov Mikhaïlovitch Berger le 8 août 1912 à Odessa en Ukraine et mort le 23 novembre 1978 à Paris d'une hémorragie cérébrale, fut un grand spécialiste de la science fiction qu'il contribua fortement à populariser. Mais dans Planète, c’est plutôt de para-sciences qu’il fut question sous sa plume, même si sa palette était large.
Quoi qu’il en ait été, les éditions L’Œil du Sphinx, créées en 1989 par Philippe Marlin et Nicolas Miècret et qui publient notamment depuis 2008 la revue Historia Occultae dirigée par Dominique Dubois, s’occupent de la succession. Elles avaient déjà fait paraître en 1994 sous la plume de Clotilde Cornut un Planète, une exploration insolite de l’expérience humaine dans les années soixante et en 2008, un premier volume consacré à Jacques Bergier, L’Aube du magicien, rédigé par Joseph Altairac.
Cet auteur vient de récidiver avec un deuxième volume sous forme d’une anthologie de textes qui représente à nouveau un énorme et passionnant travail. Non seulement les publications de Bergier, essentiellement des notes de lecture, sont soigneusement collationnées et donnent une idée de la puissance de travail du personnage, mais il s’agit d’une véritable édition critique, avec force références qui permettent au lecteur d’aujourd’hui de mieux comprendre de quoi il s’agissait. Cette démarche est particulièrement sensible dans la deuxième partie, imprimée sur papier jaune et consacrée à la correspondance de Bergier, notamment avec Pierre Versins. On trouvera également dans ce volume une étude signée de Patrice et Victoriya Lajoye sur Bergier et la science fiction soviétique (Bergier lisait le russe) et une autre de Gil Sartène « À propos de Planète, réalisme fantastique ou fantastique idéalisme », déjà parue dans la revue Fictions n°104 en juillet 1962.
Dans l’ensemble du volume qui ne fait pas moins de 428 pages vendues 30€, nombre d’illustrations aident à connaître, voire à se remémorer pour les plus érudits des lecteurs, les nombreuses publications qu’aborda Berger qui ne l'empêchèrent pas edefinir son existence dans une quasi misère.
Quelqu’ait été son apport dans d’autres secteurs, Bergier aura été mutatis mutandis à la science fiction ce que Roger Messac, auteur du Detective novel et l’influence de la pensée scientifique, paru en 1929 chez Champion, aura été au roman policier, c’est à dire à la fois un synthétiseur et un passeur.
Les trois ouvrages de Clotilde Cornut et Joseph Altairac sont imprimés au format exact de la revue mythique (dos carré et 200x170mm, si nos mesures sont exactes) et ils forment une collection en cours de construction des « Cahiers du réalisme fantastique » des plus intéressantes. Nous ne résisterons pas à préciser le fait qu’il nous est moins désagréable de lire sur Bergier que sur Pauwels...
Une autre suite à l’aventure éditoriale réenchantante des années soixante a été lancée en 2013 par Charles-Maxence Layet et sa petite équipe avec une revue, au même format, comme il se devait, appelée Orbs, du nom donné à des phénomènes visuels paranormaux, et sous-titrée « l’autre Planète ». Six numéros, dont un zéro sont parus à ce jour, pour tenir le pari d’une sorte de revival. Cette publication donne une large place à l’illustration dans une double volonté pédagogique et esthétique. Quant au contenu textuel, il est très varié, mais tourne autour de ce qui fit déjà le succès de Planète, la différence étant que les sciences ont fait depuis bien des progrès et laissent désormais courir, pour celles et ceux que cela intéresse, l’idée qu’elles pourraient nous permettre d’accéder à d’autres niveaux de conscience ou de perception. Les traditions anciennes sont également revisitées d’un triple point de vue anthropologique, journalistique et écologiste.
Les titres des six numéros, vendus 22 euros sont : « le commencement », « un fil d’or », « de la transformation », « entre ciel et terre », « les racines du futur » et « le monde d’après ». Ils donnent le ton d’un ensemble où l’onirisme tient une large place. Sur le site de la revue, on constatera, outre la présentation détaillée des sommaires, que des vidéos sont proposées à la vente, qui concernent essentiellement deux colloques organisés par l’équipe éditoriale, une activité qui rappelle un peu ce que Bergier et Pauwels avaient mis en place en leur temps.
La poésie n’est pas absente de cette revue qui entend interroger les mutations du monde présent, dans une géographie la plus large possible et en titrant la modernité du côté inverse de celui qui dessèche, rationalise, refroidit, en un mot vers « l’autre planète ». L’abonnement pour trois numéros est proposé à 75€ ou 150€ pour huit numéros. On peut en voir le détail sur le site précité. Signalons enfin qu’un entretien avec Charles-Maxence Layet sera publié dans le numéro 11 de notre revue Critica Masonica qui devrait sortir en février 2018.
Pour prolonger :
FRANÇOIS Stéphane et KREIS Emmanuel, préface de Jean-Bruno RENARD, postface de Jean-Pierre LAURANT, Le Complot cosmique : théorie du complot, ovnis, théosophie et extrémisme politique, Archè, 2010.
SACCARDI Marc, Amateur d’insolite et scribe des miracles, Jacques Bergier (1912-1978), L’Œil du Sphinx, 2008.