Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Stéphane François
Les éditions Dervy offrent un livre particulièrement intéressant, L’École secrète de sagesse. Rituels et doctrines authentiques des Illuminés de Reihard Markner et Josef Wäges. Comme son titre l’indique, il s’agit d’un recueil des rituels des Illuminés de Bavière, précédé d’une longue introduction scientifique des auteurs. À l’origine, publié en allemand, il a été traduit en français par Lionel Duvoy, un excellent connaisseur de cet ordre. En effet, Lionel Duvoy a publié par le passé, chez Grammata, sa maison d’éditions, plusieurs petits textes du fondateur de cet ordre, Adam Weishaupt (Introduction à mon apologie et Illuminati : premiers rituels secrets). Il a fait ici un travail remarquable qu’il explique au lecteur dans une « Note sur la présente traduction » (p. 43). Une « Note sur les sources » (pp. 37-42) des auteurs nous explique l’origine des sources utilisées pour reconstruire les rituels présentés. De fait, les auteurs ont réalisé une collecte exceptionnelle des différents documents, accompagné d’une mise en contexte. La grosse partie du livre est composée de ces textes, doctrinaux et rituels (pp. 47-442)
Les Illuminés de Bavière étaient un groupe politique né en Bavière en 1776. Son fondateur était donc un intellectuel et un enseignant (il était professeur de droit canonique à l’université d’Ingolstadt), Adam Weishaupt (1748-1830). Le but de ce dernier était de fonder une société secrète progressiste qui devait lutter contre une autre, supposée réactionnaire, la Rose Croix d’or, et surtout contre les Jésuites qui formaient les futures élites de l’État. Il s’agissait pour lui de devancer ces forces conservatrices en formant une contre-élite progressiste : il voulait fonder une « École de l’humanité ». Pour cela, il devait faire du prosélytisme et choisit de le faire dans le cadre d’une société secrète.
En aucun cas, comme beaucoup le disent, en particulier ses adversaires, il ne s’agissait pour les Illuminés de Bavière de noyauter ou de faire de l’entrisme dans les différents secteurs de la société pour la renverser. Un des lieux privilégiés de ce prosélytisme fut la franc-maçonnerie. Dans un premier temps, le projet de Weishaupt est un échec : il attire peu de personnes, surtout des proches et d’anciens élèves. Tout change avec l’arrivée dans l’ordre en 1780 d’un aristocrate, proche des Lumières, le baron Adolf von Knigge (1752-1796) qui devient son principal collaborateur. Celui-ci décide qu’il faut investir les loges maçonniques pour y recruter de nouveaux membres, les loges étant en plus des lieux de rencontre des élites de l’époque, sans mentionner leur appartenance à la société secrète des Illuminés. Dans ces loges, il cible non pas de futurs fonctionnaires, mais des personnes qui sont déjà en poste. Cette stratégie fonctionne : les Illuminés passent de quelques dizaines de membres à plus de 1 500. Malgré les précautions, l’existence de l’ordre des Illuminés est connue. Dès 1782, certains francs-maçons hostiles aux Illuminés dénoncent leur présence au sein des loges. Et en 1785, l’Électeur de Palatinat, Charles-Théodore (1724-1799), dévoile publiquement le complot illuminé. Les membres sont arrêtés, voire même persécutés. Weishaupt doit quitter la Bavière et petit à petit l’ordre disparaît…
L’ouvrage montre une évolution dans les grades : ceux mis en place par Knigge s’éloignent des premiers grades inventés par Weishaupt. Ils deviennent alors un système initiatique et hiérarchisé, sur le modèle de la franc-maçonnerie allemande de l’époque.
Cet ouvrage est passionnant pour tous ceux qui s’intéressent aux théories du complot et aux sociétés secrètes, car il tord le cou à plusieurs mythes forts ancrés dans les groupes antimaçonniques contemporains, voire occultistes, depuis la parution à la fin du XVIIIe siècle de plusieurs ouvrages contre-révolutionnaires, (notamment Essai sur la Secte des Illuminés de Luchet (1789), Les Conspirateurs démasqués de Ferrand (1790) et Mémoires pour servir l’histoire du jacobinisme de Barruel (1797-1799)... ils insistaient sur les origines maçonniques de la Révolution française.