Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.
Stéphane François
[Cet article reprend et complète trois articles de l’auteur : -« Comment l’extrême droite radicale se recompose en France », theconversation.com, 28 mars 2018 ; « Fachos 2.0 ou comment les idées d’extrême droite se répandent jusque chez vous », theconversation.com, 9 avril 2018,; et « Les Identitaires, nouvelles milices à nos frontières ? », theconversation.com, 24 avril 2018]
Nous pouvons constater, depuis 2010 environ, une radicalisation croissante de l’extrême droite pourtant déjà radicale qui se manifeste par une augmentation du nombre d’actions violentes de la part de ses militants dans certaines villes françaises, notamment à Paris, Lyon, Angers, Marseille, Toulouse ou Montpellier. Dans le même temps, nous remarquons que le militantisme violent est abandonné, ou plutôt est mis sous contrôle, par certains et mis en parallèle d’un activisme virtuel forcené. De fait, nous devons comprendre que ce militantisme actuel se place dans le cadre plus large d’un triple processus en cours : 1/ nous assistons à une recomposition des groupuscules en présence ; 2/ nous remarquons l’augmentation d’activistes sans appartenance précise, suites aux différentes dissolutions prononcées ; 3/nous constatons un investissement très fort dans le militantisme numérique. Ces trois points seront nos trois premières parties. La dernière se penchera sur l’usage de la propagande numérique.
Réflexions sur la violence
Depuis le décès de Clément Meric en 2013, plusieurs groupuscules radicaux ont été dissous par l’État : la Troisième voie pour une avant-garde solidariste et les Jeunesses nationalistes révolutionnaires de Serge Ayoub ; l’Œuvre française d’Yvan Benedetti, les Jeunesses nationalistes d’Alexandre Gabriac. Plus récemment, les membres d’un groupe de boneheads (skinheads d’extrême droite) picard ; le White Wolf Klan », né de la dissolution de la Troisième voie, ont été arrêtés et jugés. Nous assistons donc depuis cette époque à une recomposition de l’extrême droite radicale. Des groupuscules ont disparu, comme la mouvance skinhead d’extrême droite ou les Nationalistes autonomes, devenus toutes deux résiduelles ; d’autres sont en perte de vitesse malgré un surinvestissement activistes comme les Identitaires (anciennement Bloc identitaire), le Groupe union défense (GUD) ou l’Action française ; une dernière catégorie a une audience limitée, comme la Ligue du Midi de la fratrie Roudier (le père Richard, les fils Olivier et Martial), à la violence assumée et à l’audience locale. Cette dernière est issue du Bloc identitaire dont les membres (enfin, la famille Roudier) ont été exclus, suite à des divergences politiques et stratégiques.
Le GUD et l’Action française tentent à la fois d’attirer de nouveaux militants et de s’implanter dans de nouvelles villes, outre Paris : Marseille pour l’Action française, Lyon pour le GUD. Pour se faire, ces groupes ont choisi la surenchère avec un activisme violent qui leur permet de renouer le lien de leur tradition militante. Ces deux groupes tentent également de retrouver le « prestige » passé. En effet, le GUD, fondé en 1968 par d’anciens membres d’Occident (Gérard Longuet, Jack Marchal, Alain Robert, etc), était connu pour sa violence militante, la période des années 1980-1990 étant restée dans la mémoire des activistes d’extrême droite pour leur goût pour l’action virile. Le GUD était alors animé par Frédéric Chatillon et Axel Loustau, aujourd’hui membres du Rassemblement national (anciennement Front national). Quant à l’Action française, elle cherche à retrouver son faste de l’entre deux-guerre, en vain.
De fait, la violence politique de l’extrême droite a baissé durant les années 1990-2010. Elle fut importante durant l’après-guerre, surtout dans les années de la fin de la guerre d’Algérie. L’échec de la stratégie de l’Organisation armée secrète (OAS) dont le terrorisme en métropole était l’un des éléments, a provoqué une prise de conscience de l’extrême droite. La violence persista, mais ne fut que résiduelle et le fait de militants seuls, le Front national (FN), fondé en 1972, canalisant cette violence. Paradoxalement, la violence antisémite augmente durant cette période, étant le fait d’anciens militants des Groupes nationalistes-révolutionnaires de base de François Duprat, le co-fondateur du Front national lui-même tué dans un attentat en 1978.
Les principaux acteurs de la violence d’extrême droite dans les années 1980 sont les skinheads qui apparaissent en France au début de cette décennie. Ceux-ci sont en grande majorité rétifs à toute organisation partisane même s’ils ont le plus souvent des liens épisodiques avec le FN, du type brève adhésion ou actions de service d’ordre. Durant cette période, de nombreux actes de violence sont imputables à l’extrême-droite. Curieusement, les mobilisations violentes des militants royalistes et des commandos anti-avortement restent sous-étudiées. Cependant, c’est la mouvance néonazie qui commet par contre les actes les plus graves. Certains sont des actes de violence symbolique, comme la profanation d’une sépulture au cimetière juifs de Carpentras, en mai 1990, commise par des proches du Parti nationaliste français et européen (PNFE). D’autres actes racistes sont imputables à cette mouvance. Aujourd’hui, les actes de violences sont le fait de militants, ayant quitté ou perdu leur formation, qui tentent de recréer une structure sur les bases de l’activisme agressif. C’est le cas, par exemple, des membres du White Wolf Klan qui escomptait agresser, voire tuer, des personnes issues de l’immigration. À Marseille, des éléments issus de l’Action française locale ont projeté d’assassiner des personnalités politiques et commettre des attentats contre des mosquées.
Le renouveau de l’activisme doit être replacée dans le contexte d’une supposée guerre ethnique dont nous serions les victimes. Le principal théoricien de cette guerre ethnique est Guillaume Faye, ancien théorien en second du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (GRECE) avec ses ouvrages : L’Archéofuturisme (L’Aencre, 1998) ; La colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam (L’Aencre, 2000) ; Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance européenne (L’Aencre, 2001) ; Avant-Guerre. Chronique d’un cataclysme annoncé (L’Aencre, 2002). Le renouveau s’intègre également dans l’héritage des assassinats politiques commis en 2011 par le Norvégien Anders Behring Breivik. Ce point est important pour comprendre les évolutions violentes de l’extrême droite radicale. Outre ce passage à l’acte, ces militants s’entraînent au maniement des armes en vue de la « résistance » face à une « immigration-colonisation » qui aurait instrumentalisé les violences de groupes immigrés et violents des banlieues. Cependant, nous devons préciser que ces entraînements ne sont pas une nouveauté, loin de là : en effet, il existe depuis très longtemps dans les milieux de l’extrême droite. La presse en faisait régulièrement écho dans les années 1980 et 1990.
Au-delà de cet activisme violent, nous assistons également à un renouvellement des pratiques culturelles. La culture boneheads a disparu au profit d’une contre-culture plus élaborée. Philippe Vardon, ancien responsable identitaire, aujourd’hui membre du bureau national du Rassemblement national, en a théorisé les grandes lignes dans son livre Éléments pour une contre-culture identitaire (Idée, 2011). Le constat de l’échec de l’activisme violent a poussé les identitaires Fabrice Robert et Philippe Vardon à évoluer vers un activisme qui relève des happenings inspirés de l’activisme de Greenpeace, comme la « Marche des cochons » à Lyon en 2011 ou l’occupation de la mosquée de Poitiers en 2012. L’usage de la violence politique a été rejeté pour plusieurs motifs : la stérilité de cette voie, le manque d’effectifs, le contexte d’une société apaisée, etc. Il s’agissait aussi de donner une légitimité au combat identitaire présenté auprès de l’opinion publique, des médias et des chercheurs en science politique comme celui de la sauvegarde d’une civilisation en péril… La faiblesse numérique a poussé les militants radicaux à investir Internet. Ainsi, le groupuscule d’Alain Soral, Égalité & réconciliation, ne milite quasiment qu’à travers ce média. La page facebook de ce groupuscule était l’une des plus consultées, jusqu’à sa fermeture en 2017.
Outre cette forme de militantisme, les activistes d’extrême droite s’inspirent également des pratiques italiennes, en particulier de l’expérience du squat culturel et social connu sous le nom de la Casa Pound (la « maison Pound »), fondé à Rome en 2003 par des militants nationalistes-révolutionnaires. Plusieurs groupuscules français tentent d’imiter ce centre et cherchent à ouvrir des centres similaires dans notre pays. L’une des dernières tentatives est le Bastion social à Marseille, mais il y a eu par le passé d’autres tentatives comme la Maison flamande à Lambersart, près de Lille, entre 2008 et 2012, la maison de l’Identité à Toulouse en 2012, La Citadelle ouverte à Lille en 2016, ou le Bastion social lyonnais en 2017 par le GUD. Dans ce dernier cas, l’activisme est à la fois d’ordre culturel, avec l’ouverture de lieux, et violent avec l’essor d’actions violentes.
À suivre...
[Une bibliographie est proposée à la fin de la série]