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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Évidemment non, l’écologie n’est pas que d’extrême droite ! (1/2)

Stéphane François

Il m’est souvent fait le procès d’être contre l’écologie et de considérer que toute l’écologie serait d’extrême droite. Cela est totalement faux car j’ai écrit en plusieurs endroits que je ne m’intéresse pas à l’écologie de gauche (1) parce que j’aborde le sujet de l’écologie par ces trois angles précis : a/l’écologie vue par l’extrême droite (2) ; b/les positionnements anti-modernes (et donc conservateurs) et irrationnels de l’écologie (3) ; c/les aspects antichrétiens de l’écologie radicale (4). Il existe évidemment, un fort courant de gauche de l’écologie. Mais je maintiens qu’il n’est pas sans ambiguïtés, comme on le verra, du fait même des thèmes ou des liens qui peuvent exister avec les trois angles précités.

Ainsi, il s’est développé depuis les années 1970 un monde foisonnant, aux références parfois loin d’être académiques : une partie de celles-ci venait issue de la contre-culture des années 1960 et 1970, l’« underground » (5). C’est le cas du magazine La Gueule ouverte de Pierre Fournier et des bandes dessinées de Reiser (La Vie au grand air, 1972, Éditions du Square) et de Gébé (L’An 01, paru en feuilleton entre 1970 et 1974 dans Politique Hebdo).

Cette écologie de « gauche », la « quatrième gauche » pour certains, est l’héritière en France du « naturalisme subversif », ou de « l’écologie libertaire », théorisé au début des années 1970 par Serge Moscovici dans La Société contre nature (10-18, 1972). Moscovici y critiquait le progrès technique qui isole l’homme dans un monde désenchanté mais, en retour, il construisait un système ré-enchantant le monde. Il y défendait un retour à la nature mais sans remettre en cause l’héritage des Lumières. Ce « naturalisme subversif » prônait d’autres modèles sociétaux, alternatifs, comme la vie en communautés, le développement du modèle associatif, le pacifisme, le féminisme, le tiers-mondisme, la pensée libertaire, etc. Ses références étaient André Gorz, Ivan Illich, Murray Bookchin, voire Élisée Reclus, Piotr Kropotkine ou Auguste Blanqui. Ce dernier, dès 1869, avait des préoccupations écologistes. Il a pu écrire la chose suivante : « Depuis bientôt quatre siècles, notre détestable race détruit sans pitié tout ce qu’elle rencontre, homme, animaux, végétaux, minéraux. La baleine va s’éteindre, anéantie par une poursuite aveugle. Les forêts de quinquina tombent l’une après l’autre. La hache abat, personne ne replante. On se soucie peu que l’avenir ait une fièvre. Les gisements de houille sont gaspillés avec une incurie sauvage » (« La critique sociale », Textes choisis, éditions sociales, 1971).

Surtout, cette forme d’écologie est l’héritière de l’agronome René Dumont, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 1974 et l’une des grandes figures de l’écologie française. Celui-ci soutenait une sorte de socialisme écologiste anticapitaliste et autogestionnaire, mais également une forme de dirigisme, voire des mesures autoritaires, pour faire le « bonheur » des citoyens malgré eux puisque ces derniers ne sont pas conscients des dangers qui menaçaient la planète (6). Cette dérive autoritaire se retrouve aussi à la même époque chez Hans Jonas, qui souhaitait une société dirigée par des « sages » (Le Principe Responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Cerf, 1990), qui permet de réconcilier gauche et droite : de la « dictature du prolétariat » on ne retient finalement que la « dictature »... De fait, cette nébuleuse écologiste mêlait les références marxistes-léninistes à celles des théoriciens autogestionnaires, comme Pierre-Joseph Proudhon.

Un grand intellectuel comme Cornelius Castoriadis, converti à l’écologie à la fin des années 1990, voyait dans celle-ci une forme de subversion, car elle remettrait « en question l’imaginaire capitaliste qui domine la planète » (« L’écologie contre les marchands », Une Société à la dérive, Seuil, 2005), mais critiquait déjà le progressisme : « L’idée que l’écologie serait réactionnaire repose soit sur une ignorance crasse des données de la question, soit sur des résidus de l’idéologie “progressiste” : élever le niveau de la vie et… advienne que pourra ! » La somme de Serge Audier, La Société écologique et ses ennemis. Pour une histoire alternative de l’émancipation (Paris, La Découverte, 2017), le montre d’ailleurs très bien. De ce fait, les écologistes contemporains sont les enfants, les héritiers ou les anciens militants de la gauche contestataire des années 1970. « De ce point de vue, écrit Arnaud Baubérot, le mythe du retour à la nature institue du social. Par ailleurs, ce mythe est porteur d’une forte contestation de la réalité présente. Il donne du sens aux déceptions et aux frustrations, suscite des projets de régénération de l’ordre social, nourrit l’attente d’un bouleversement radical et de l’avènement d’un “homme nouveau” » (Histoire du naturisme. Le mythe du retour à la nature, Presses universitaires de Rennes, 2004).

Si l’écologie politique contemporaine est l’héritière des mouvements contestataires des années 1970, certains étaient déjà conscients de l’aspect ambivalent de l’écologie. Prenons quelques exemples français. Dès 1973, Pierre Samuel, mathématicien et fondateur en 1970 du groupe écologiste Vivre et survivre, critiquait les dérives mystiques de l’écologie, l’« éco-mystique », ainsi que ce qu’il appelait l’« éco-fascisme », en fait les dérives antihumanistes de l’écologie (Écologie : détente ou cycle infernal, 10/18, 1973). Tandis qu’en 1980, le personnaliste et pionnier de l’écologie française Bernard Charbonneau, et l’ami de Jacques Ellul ne l’oublions pas, mettait en garde contre « La tentation de l’intégrisme naturiste » (Le Feu vert, Parangon, 2009) … L’écologie s’est en effet transformée rapidement en une « nouvelle religion politique », comme le montre Shmuel Trigano : « Toute sa puissance de conviction et de persuasion est tirée d’une prophétie annonçant une apocalypse proche ou lointaine. Si celle-ci n’est pas la punition venant d’un dieu, elle exprime la vengeance de la Terre outragée par les actes répréhensibles (les péchés) de l’humanité, et surtout de l’humanité occidentale, celle du monde développé. C’est comme si se levait de ses tombeaux une déesse très archaïque dans l’histoire des religions : la mère Nature. Différents “attributs” déclinent son profil : la Terre, la Planète, la Nature. Le drame sacré qui la touche la présente à la fois vierge et violée par les hommes […]. La “Terre” devient ainsi un être aux côtés des hommes ou plutôt de l’Humanité en général, ainsi massifiée face à elle » (« L’apparition d’une “nouvelle religion politique” », Controverses, n° 14, mai 2010).

Outre cet aspect millénariste, un autre aspect m’a intéressé, car systématiquement minoré. Si les groupes écologistes français et allemands, les « Verts » et les « Grünen », se sont installés dès le départ à gauche ou à l’extrême gauche de l’échiquier politique, la plupart de leurs membres, issus de la contre-culture des années 1970, étant régionalistes, féministes, autogestionnaires, etc., il existe pourtant des aspects conservateurs au sens propre du terme, relevant du romantisme politique (7), et donc relevant dans le champ de l’histoire des idées politiques de la droite. Cet aspect est si flagrant que des chercheurs, tel Thomas Keller, ont pu parler à propos des valeurs écologistes de « conservatisme de gauche », voire de « conservatisme des valeurs » (Les Verts et le conservatisme de gauche. Une nouvelle culture politique en RFA, thèse soutenue à l’Université des Sciences humaines de Strasbourg en 1989). Celui-ci, dont j'ai repris le postulat dans mes travaux, s’est demandé comment les écologistes allemands, venant de la Nouvelle Gauche non-conventionnelle, avaient géré les thématiques conservatrices du renversement de tendance : « Il serait cependant simpliste de réduire le phénomène vert à une combinaison de ces deux tendances. Plusieurs questions restent en suspens : ces deux tendances coexistent-elles simplement, sont-elles imbriquées l’une dans l’autre ou se transforment-elles mutuellement ? Subissent-elles l’influence d’autres courants ou bien leur croisement engendre-t-elle une nouvelle orientation ? » L’écologiste et universitaire Dominique Bourg ne dit pas autre chose, en éludant cependant la question de l’origine de cette captation : « ils [les partis verts] ont en quelque sorte capté, au détour des années 70, un héritage intellectuel et une sensibilité beaucoup plus larges que ce qu’ils n’ont cessé de représenter alors » (« Enquête sur la gauche », Éléments, n° 99, novembre 2000).

Ces questions sont au cœur de ma réflexion. D’autant que, durant des colloques et des débats, J’ai entendu des discours relevant explicitement du conservatisme. Ainsi, en 2015 dans le cadre d’un colloque franco-allemand, j’ai pu entendre une militante écologiste allemande faire la promotion de l’« accouchement bio » (sic) : elle faisait en fait la promotion de l’accouchement non médicalisé, sans sage-femme, « naturel » (re sic). Je lui ai fait remarquer que nombre de femmes dans le monde aimeraient accoucher dans un cadre médicalisé sans craindre de mourir en donnant la vie. Je lui également fait remarquer que son propos était non seulement totalement inconscient, mais également réactionnaire, au sens propre. Il y eut un silence gêné… Mais le co-organisateur français m’a dit que j’avais raison. Bref, je le redis : il y a dans le discours écologiste des éléments relevant explicitement du conservatisme, voire de la pensée réactionnaire, y compris chez des militants se positionnant à gauche.

à suivre

1. Par exemple ici : L’écologie politique : une vision du monde réactionnaire ? Réflexions sur le positionnement idéologique de quelques valeurs, Éditions du Cerf, 2012.

 

2. « La Nouvelle Droite et l’écologie : une écologie néopaïenne ? », Parlement(s). Revue d’histoire politique, nº 12, 2009 ; « L’extrême droite et l’écologie », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, n°44, 2016 ; L’Écologie comme enjeu de l’extrême droite, Fondation Jean Jaurès, 2016 ; « Comment l’écologie est conçue à l’extrême droite », Fragments sur les temps présents, 12 octobre 2017 ; « Qu’est-ce que l’écologie identitaire ? », Fragments sur les temps présents, 25 juillet 2018. Un travail inédit d’HDR porte d’ailleurs sur cette problématique : « L’écologie d’extrême droite. Une approche historique et politiste à partir du cas français (1980-2018) ».

 

3. « L’écologie politique : entre conservatisme et modernité », Le Banquet, nº 26, 2009 ; La Modernité en procès. Éléments d’un refus du monde moderne, Presses universitaires de Valenciennes, 2013 ; « L’écologie par-delà les clivages politiques », in Olivier Hanse, Annette Lensing & Birgit Metzger (dir.), Mission écologie. Tensions entre conservatisme et progressisme dans une perspective franco-allemande, Peter Lang, 2018 ; « De la méfiance chez les écologistes : l’irrationnel en embuscade », in Stéphane François (dir.), Un XXIe siècle irrationnel ? Analyses pluridisciplinaires de pensées « alternatives », CNRS Éditions, 2018.

 

4. « L’antichristianisme dans l’écologie radicale », Revue d’éthique et de théologie morale, n° 270, 2012 ; avec Yannick Cahuzac, « Le culte de la “Terre-mère”, l’écologie radicale et le refus du christianisme », Politica Hermetica, n° 27, 2013. Le Retour de Pan. Panthéisme, néo-paganisme et antichristianisme dans l’écologie radicale, Archè, 2016.

 

5. L’underground peut être défini de la façon suivante : il s’agit d’un mode de vie en marge des valeurs dominantes de la société, le mainstream, qui se manifeste par l’élaboration de ses propres règles à la fois de vie et intellectuelle/culturelle. L’underground se manifeste aussi par une radicalité politique (engagement ou désengagement radical) et/ou artistique associé à un très bon niveau culturel (autodidacte ou non) et à une volonté de subvertir. Selon Frédéric Monneyron et Martine Xibernas, le terme « underground » comprend aussi l’idée d’interdit, de non autorisé (Frédéric Monneyron et Martine Xibernas, Le Monde hippie. De l’imaginaire psychédélique à la révolution informatique, Imago, 2008).

 

6. Stéphane François, « Les début de l’écologie politique : la campagne électorale de René Dumont de 1974 », in Stéphane Courtois, Jean-Pierre Deschodt & Yolène Dilas-Rocherieux (dir.), Démocratie et révolution. 1789-2011. 100 textes fondateurs, Éditions du Cerf/Éditions de l’ICES, mars 2012. Repris sur ce blog sous une forme différente : « Bref regard sur la campagne électorale de René Dumont de 1974 », 19 avril 2018.

 

7. En effet, le romantisme, par sa volonté de faire appel aux sentiments, à l’intuition, par son désir d’une nature sauvage, non domestiquée, par sa nostalgie d’un monde révolu largement idéalisé, par sa réaction contre le processus de « modernisation », par son rejet de la raison, par son rejet des Lumières, etc. relève du champ politique et idéologique de la « droite ».

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