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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Évidemment non, l’écologie n’est pas que d’extrême droite ! (2/2)

Stéphane François

S’il y a dans le discours écologiste des éléments relevant explicitement du conservatisme, voire de la pensée réactionnaire, y compris chez des militants se positionnant à gauche, il reste à savoir si cette captation est consciente ou non. La réponse est ambivalente : certains militants ont intégré inconsciemment des éléments venant du conservatisme. Souvent d’ailleurs en voulant contester le rationalisme des Lumières, il est inutile de le nier. D’autres l’ont fait plus facilement, venant de la droite, comme l’a très bien montré Olivier Hanse dans son article sur les origines droitières de l’écologie allemande contemporaine, « “Le Vert et le Noir” ou les racines conservatrices de l’écologie allemande » (Allemagne d’aujourd’hui, n°202, 2012). Les écologistes allemands, britanniques et américains, marqués par ce « conservatisme des valeurs », ont plus publié que les militants français, des années 1960 jusqu’au milieu des années 1990, de textes théoriques dans lesquels ils développaient à la fois des visions catastrophistes et un discours critique de la science, de la technique et de la croissance (1), faisant en retour la promotion du régionalisme (2) et d’un néo-primitivisme. Pensons, par exemple, aux ouvrages de Teddy Godsmith (3), le fondateur de la revue phare de l’écologie The Ecologist, ou aux textes d’un John Zerzan (4). Le rapport au régionalisme est d’ailleurs plus qu’ambigu : en octobre 2008, dans la perspective des élections européennes de juin 2009, les têtes de liste d’Europe Écologie – Daniel Cohn-Bendit, Eva Joly, José Bové, Jean-Paul Besset, Cécile Duflot, Antoine Waechter, Yannick Jadot, François Alfonsi et Pascal Durand – ont publié un manifeste intitulé Changer d’ère (20 octobre 2008). Ils y écrivaient entre autre que « l’Union européenne, malgré les aléas de sa construction et des pratiques trop souvent technocratiques, a bâti un espace de paix et de coopération entre les 27 États et les 83 peuples [sic] qui la composent » (Nous soulignons). En effet, le groupe des Verts au Parlement européen souhaite l’éclatement des États-Nations au bénéfice d’euro-régions ethniquement homogènes et disposant de pouvoirs dignes d’États fédérés. En ce sens, leurs positions sont comme un écho à celles d’un Heinnig Eichberg, ex-militant de l’extrême droite strassérienne allemande (ie le « nazisme de gauche »), passé progressivement vers une forme d’anarchisme ethnicisant (5). D’autres figures de l’écologie française (Esther Benbassa, Eva Joly Noël Mamère) n’ont pas hésité, dans une tribune intitulée « Manifeste pour une écologie de la diversité » (Libération, 27 octobre 2011), à essentialiser les identités, une attitude fondamentalement conservatrice pourtant, puisqu’elle enferme les personnes dans une catégorie (6).

En 1980, André Gorz, qui fut l’étudiant avant-guerre de Martin Heidegger, publiait un ouvrage, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme (Galilée, 1980). Il y appelait la gauche à se défaire du « fétichisme ouvrier » et surtout de tout déterminisme matérialiste (7). Hans Jonas, un autre élève du philosophe nazi, ne dit pas autre chose : dans son opus magnum, publié en 1979, Le Principe Responsabilité, il affirmait qu’il faut se débarrasser du leurre communiste qui ne serait qu’une forme de progressisme technoscientifique, reprenant les thèses révolutionnaires-conservatrices, voire völkisch du philosophe... Selon moi, il y a un lien explicite entre la démarxisation de ces milieux et l’apparition de discours anti-productivistes et anti-Lumières, que j’ai montré dans La Modernité en procès. En effet, il y a un basculement très net du concept d’« aliénation » vers un sens antimoderne : c’est la société moderne toute entière qui devient aliénante et surtout totalitaire. Les premiers signes de cette évolution sont à chercher dans les discours anti-productivistes énoncés après les chocs pétroliers et correspondent en Allemagne à la formulation du « conservatisme des valeurs ». Jean-Pierre Le Goff, dans La Démocratie post-totalitaire (La découverte, 2003) voit aussi ce dévoiement de l’antitotalitarisme dans les discours antimondialistes issus des extrêmes gauches post-soixante-huitardes. Il parle aujourd’hui explicitement à ce sujet de Malaise dans la démocratie (Stock, 2016).

Au contraire, un imaginaire écologiste réellement de gauche, issu des Lumières, s’inscrirait dans le cadre de la croyance dans le progrès perpétuel des sciences. Cette position s’est notamment manifestée, dans les années 1970, avec les positions de Serge Moscovici pour qui l’Homme a toujours façonné, « anthropisé » la nature (8), une idée d’ailleurs soutenue par l’historien de l’environnentatisme William Cronon dans Uncommon Ground : Toward Reinventing Nature (W.W. Norton & Company, 1995). Cette forme d’écologie ne remet pas en cause les fondements prométhéens de la civilisation occidentale : elle peut être vue comme une simple tentative de conciliation entre les préoccupations écologiques et le productivisme industriel – le « développement durable » ou « soutenable ». En outre, cette écologie gestionnaire est sensible aux questions sociétales, en particulier aux conditions de vie des minorités (immigrés, minorités sexuelles, etc.), sans pour autant les essentialiser.

En ce qui concerne l’écologie, il est très important de faire une distinction entre ce qui est « à » gauche à un moment donné de l’histoire et ce qui fondamentalement « de » gauche. L’écologie est aujourd’hui « à » gauche, mais elle n’est pas fondamentalement « de » gauche. Pensons aux vertus de la vie naturelle célébrées face aux vices de la vie urbaine, à l’idée de nature conçue comme un tout harmonieux, au refus du progrès, au refus de la société industrielle, à l’éloge de l’enracinement et des petites communautés… En outre, l’idée d’une terre-nourricière et l’éloge des civilisations traditionnelles, sans compter l’idéalisation d’un « monde perdu », relèvent explicitement du romantisme politique (9). L’imaginaire de l’écologie, comme je l’ai montré en plusieurs endroits, relève explicitement de valeurs de droite, quitte à chagriner certaines personnes.

 

1. Nous pouvons citer Gunther Schwab, Barry Commoner, Barbara Ward, Evelyn Hutchinson ou Rachel Carson.

2. Jean Jacob, -« Le biorégionalisme, de la nouvelle gauche à la nouvelle droite », La Pensée, n° 350, avril/juin 2007

3. Edward Goldsmith, Le Défi du XXIe siècle. Une histoire écologique du monde, Le Rocher, 1994 ; Edward Goldsmith & Jerry Mander, Le Procès de la mondialisation, Fayard, 2001. Pour une critique des thèses de Goldsmith, voir Jean Jacob, L’Antimondialisation, Aspects méconnus d’une nébuleuse, Berg International, 2006.

4. John Zerzan (dir.), Against Civilization, Feral House, 2005; John Zerzan, Future Primitive revisited, Feral House, 2012.

5. Sur Eichberg, voir Stéphane François, La Modernité en procès. Éléments d’un refus du monde moderne, Presses universitaires de Valenciennes, 2013.

6. Sylvain Crépon, Stéphane François et Nicolas Lebourg, « “Pour une écologie de la diversité” ? La gauche fait fausse route », Rue89, 18 février  2011.

7. Arno Münster, André Gorz ou le socialisme difficile, Lignes, 2008.

8. Voir notamment, Serge Moscovici, Essai sur l’histoire humaine de la nature, Flammarion, 1968.

9. Sur cette idée, voir Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France, 3 vol., Gallimard, « Tel », 2006.

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