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Blog d'étude critique et académique du fait maçonnique, complémentaire de la revue du même nom. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

Du sacré, faisons table rase

Jean-Pierre Bacot

 

Pourquoi, s’en passer ? Parce que ce « sacré » cache toujours quelque chose et, le plus souvent, comme par hasard, une forme de pouvoir et de domination. Nous pouvons certes avoir du respect pour des personnes, des idées, des commémorations, nous pouvons ritualiser certaines circonstances, mais nous bénéficions chaque jour du fait que nos ancêtres aient largement désacralisé notre existence.

 

N’oublions pas aussi que la sacralisation comme un outil de domination, possède souvent un aspect machiste. Nul besoin de s’étendre ici sur ce que recouvre la prétendue sacralisation de la femme et/ou de son corps.

 

Le danger, serait aujourd’hui chez certains une sorte de volonté de resacralisation du monde, soit dans un but de réenchantement, soit pour maintenir une part de rêve et de poésie, soit pour renoncer à tout comprendre, soit pour conserver un sens caché au monde et alimenter un ésotérisme vieillissant.

 

La notion de sacré est indubitablement une notion spiritualiste, voire religieuse. La preuve en est que dans un cadre moderne et donc désenchanté au sens de Max Weber ou de Marcel Gauchet, on peut parfaitement s’en passer au bénéfice de la liberté de parole et de pensée, sans police de la sacralité.

 

On signalera pour mémoire le sens faible de cette sacralitéqui traine parfois dans le langage courant pour qualifier quelque chose auquel on tient particulièrement, dans le genre : « la famille c’est sacré ». Michel Leiris a traité récemment du sacré dans la vie quotidienne. Osons dire, révérence gardée envers ce type d’approche, que c’est dans ce cas-là un sacré affaibli. Ce sacré qui n’est pas vraiment un et qu’il faudrait donc nommer autrement, n’est pas gênant, dans la mesure où il fluidifie le langage et les comportements. C’est alors un autre nom de l’éthique au quotidien, de l’attention à l’autre, etc, et cela peut être sacrément utile pour mettre de l’huile dans les rouages sociaux.

Passons aussi sur le sens ancien auquel les Canadiens francophones font honneur par une série de formules qui font la joie de touristes français, un registre d’insultes qui renverse le sacrement chez ceux qui en ont le plus souffert. Quelques exemples de ce retournement savoureux, audibles par les plus chastes oreilles, tous commençant ici par un C, pour se limiter à une petite partie du lexique des sacres : « Calice ! Calvaire ! Christ ! Ciboire ! Cré ! Crucifix ! ». 

 

Sinon, le sacré, le vrai, ni affaibli, ni renversé, on s’en passera fort bien. Qu’avons nous en effet à gagner à qualifier, par exemple, une partie de nos temples maçonniques d’espaces sacrés ? Certes, nous possédons, y compris au rite français, des mots dits « sacrés ». Mais chacun sait qu’au dix-huitième siècle où ils ont été institués comme tels, ils étaient les mots du divin. Acceptons-cela comme un fait d’histoire et libérons-nous de la contrainte pour conserver la force éthique. Libérons-nous également de la dichotomie durkheimienne, légèrement positiviste, qui oppose le sacré, sous ses différentes formes, au profane.  En effet, s’il n’y a plus de sacré, il n’y a plus rien à profaner.

 

Il n’y a donc plus à cracher sur les tombes, comme le préconisait Boris Vian, sauf que sur certaines, nous accorderons toujours des circonstances atténuantes à l’auteur du crachat.

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